Victor Le Gorgeu : une carrière des plus riches

Parmi les personnalités politiques qui ont marqué l’histoire de la Bretagne contemporaine, Victor Le Gorgeu tient incontestablement une place éminente. Certes, il est surtout connu pour être nommé Commissaire régional de la République à la Libération. Mais le reste de sa carrière n’en demeure pas moins extrêmement riche.

Victor Le Gorgeu, en 1944. Crédits: Rennes 1940-1944.

Victor Le Gorgeu naît le 5 mai 1881 dans la paisible ville de Quimper. Ce n’est qu’à l’âge de 19 ans, après avoir brillamment obtenu son baccalauréat, qu’il quitte sa Bretagne natale. Il rejoint alors Bordeaux où il intègre l’Ecole du service de santé de la Marine. Sa carrière militaire lui permet de découvrir le monde. Entre 1904 et 1906, il séjourne, sous l’uniforme des troupes coloniales, en Indochine avant de rejoindre, en 1908, l’Afrique occidentale française où il demeure jusqu’à la fin de l’année 19101. A son retour en métropole, il décide d’abandonner la vie militaire et s’installe comme médecin à Brest. Son retour à la vie civile est cependant de courte durée. En août 1914, il est mobilisé au même titre que des millions de Français. Médecin au sein des troupes coloniales, il quitte, durant le conflit, le front occidental pour rejoindre le – non moins calme – front d’Orient.

Victor Le Gorgeu rentre à Brest au printemps 1919. Il abandonne rapidement la médecine pour se consacrer à la politique2. Dès la fin de l’année 1919, il est élu conseiller général du Finistère. Dix ans plus tard, en 1929, il conquiert la mairie de Brest puis, l’année suivante, il est élu sénateur. Sa carrière connaît peut-être son apogée en octobre 1933 lorsqu’il intègre l’éphémère cabinet d'Albert Sarraut en tant que sous-secrétaire d’État à la l’Education physique3. Reconduit dans ses fonctions par Camille Chautemps, il est une nouvelle fois victime de l’instabilité gouvernementale et quitte le gouvernement à la fin de l’année 1933.

En 1939, Victor Le Gorgeu a 58 ans lorsque la France entre, une nouvelle fois, en guerre face à l’Allemagne. N’étant pas mobilisé, il est invité à voter, le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Mais le sénateur finistérien refuse, comme 79 autres parlementaires, de les lui accorder. Malgré ce premier accroc avec le nouveau régime, l’ancien médecin rentre sereinement à Brest afin d’administrer sa ville qui, rapidement, se retrouve sous le feu des bombardements britanniques. Ses rapports avec Vichy se détériorent subitement le 30 décembre 1941 lorsqu’il refuse de voter en faveur d’une motion adressée au maréchal Pétain4. La réaction du préfet ne se fait pas attendre. Le jour même, il prend un arrêté qui le suspend immédiatement de ses fonctions5. Sans surprise, Vichy confirme la décision préfectorale en le révoquant.

Victor Le Gorgeu à la Libération, aux côtés de Charles de Gaulle. Cinémathèque de Bretagne.

Pour Victor Le Gorgeu, c’est une nouvelle guerre qui commence. Il quitte Brest pour la Sarthe et s’engage dans la Résistance. Le général de Gaulle comprend vite l’intérêt de disposer, dans ses rangs, d’un homme de cette expérience. Il le chosit rapidement, sans doute conseillé en ce sens par Michel Debré, pour prendre en charge l’administration de la Bretagne une fois la région libérée. Mais l’attente est loin d’être calme pour Victor Le Gorgeu. N’hésitant pas à parcourir les quatre départements de sa future circonscription administrative, pour y composer notamment les futurs Comités départementaux de la Libération, il est activement recherché par les Allemands et doit vivre dans la clandestinité. La Libération de la Bretagne sonne donc aussi comme un soulagement pour lui.

Victor Le Gorgeu devient Commissaire Régional de la République le 4 août 1944. Sa mission est immense : restaurer l’ordre républicain dans une période éminemment trouble et qui, par certains égards, n’est pas sans exhaler certains relents de guerre froide tant la pression communiste est forte. La suite de la carrière de Victor Le Gorgeu est, après-guerre, moins médiatique. Nommé au conseil d'État le 27 mars 1947, il intègre également la commission d’étude sur l’enseignement privé. Le 11 septembre 1963, il succombe des suites d’une crise cardiaque.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Archives nationales, 19800035/417/55729, état des services de M. Le Gorgeu, 20 octobre 1919.

2 JOLLY, Jean (dir.), « Victor Pierre Le Gorgeu », Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), Paris, PUF, 1960, p. 2217.

3 « Le nouveau ministère », L’Ouest-Eclair, 27 octobre 1933, p. 1.

4 « M. Perreau-Pradier, sous-préfet a procédé à l’installation du nouveau Conseil municipal », La Dépêche de Brest, 30 décembre 1941, p. 2.

5 « MM. Le Gorgeu et Lullien suspends de leurs fonctions », La Dépêche de Brest, 2 janvier 1942, p. 2.