A propos du massacre des apprentis du 9 novembre 1942

Saint-Nazaire compte assurément parmi les villes martyres de la Seconde Guerre mondiale. Au même titre que Dresde, Londres ou encore Cherbourg, Saint-Malo, Brest et Lorient, le port de Basse-Loire a terriblement souffert des bombardements. Les victimes se comptent en centaines et le montant des destructions s’estime, lui, en millions de francs. On comprend dès lors que cette histoire soit, aujourd’hui encore, la source de bien des traumatismes. Le massacre dit des apprentis, le 9 novembre 1942, compte justement parmi ces épisodes particulièrement douloureux, source d’une mémoire qui, pas encore totalement apaisée, n’en invite pour autant pas moins à la réflexion.

Carte postale. Collection particulière.

Véritable poumon économique du bassin d’emploi de Saint-Nazaire, les chantiers accueillent chaque année de nombreux jeunes venus y apprendre un métier et se former aux métiers de la construction navale. La Seconde Guerre mondiale ne change rien à cette réalité, si ce n’est que Penhoët est désormais un objectif stratégique pour les bombardiers alliés, et en ce début de mois de novembre 1942 environ 180 hommes poursuivent leur apprentissage au sein des chantiers. Alors âgé de 14 ans, Paul Guiho ne s’inquiète pas plus que cela lorsque les sirènes de la défense passive commencent à retentir, au début de l’après-midi. Il est vrai que cela n’est pas la première alerte et que les apprentis ont même tendance à les considérer comme des récréations puisqu’elles ont l’avantage d’interrompre les cours. Bravant l’interdit, certains sortent même pour admirer et compter les lourds B 17 et B24 américains, pris en chasse par la défense contre avions allemande.

Mais le bombardement qui cible les chantiers navals s’avère d’une ampleur inédite et les jeunes se retrouvent rapidement pris au piège d’un tapis de bombe. Lorsque les obus ne pulvérisent pas les corps, les apprentis meurent écrasés par les chutes de matériels divers ou asphyxiés par l’explosion des bouteilles d’acide nécessaires au bon fonctionnement des ateliers. Au total, le bombardement du 9 novembre 1942 cause la mort de plus de 180 personnes, dont 134 apprentis du chantier de Penhoët, et s’impose dans les mémoires comme étant le « massacre des apprentis », une expression qui n’est pas sans inciter à la réflexion.

Curieusement, l’évènement n’a que peu de retentissement dans la presse locale et L’Ouest-Eclair, pourtant d’habitude prompt à dénoncer ces opérations aériennes ne les évoque qu’en quelques lignes, et pour les attribuer du reste aux Britanniques1. Il est vrai que les Américains viennent tout juste de débarquer – le 8 novembre 1942 – en Afrique du Nord – c’est l’opération Torch – et que la simultanéité des opérations tend à souligner la fragilité du Reich et de ses alliés. C’est donc bien au prisme d’une opération de propagande que doit être compris ce silence.

Lors des obsèques des victimes. Collection particulière.

Il n’en demeure pas moins que la mémoire de ce bombardement est ambigüe, ce que le terme de « massacre » souligne d’ailleurs bien. En effet, habituellement, ce mot se rapporte aux victimes de la « barbarie nazie » ce qui, d’une certaine manière, contribue ici à mettre sur le même plan les puissances de l’Axe et les Alliés. On sait également qu’il est en Belgique abondamment associé aux « villes martyres » de la Première Guerre mondiale au premier rang desquelles figurent Louvain, Dinant ou encore Tamines. Ce terme se rapporte donc souvent à des meurtres qui diffèrent largement du bombardement du 9 novembre 1942, puisque les victimes ne sont pas la cible de l’opération mais bien des « dommages collatéraux », pour reprendre un anachronisme particulièrement éclairant. Certes, Saint-Nazaire n’est pas Morlaix et la mémoire du « massacre des apprentis » n’est pas celle du bombardement du 29 janvier 1943. Pour autant, l’analyse de ce souvenir rappelle combien il importe de contextualiser les événements, les mots pouvant s’avérer particulièrement trompeurs.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Les bombardiers britanniques atteignent Saint-Nazaire », L’Ouest-Eclair, 41e année, n°16697, 10 novembre 1942, p. 1