Vœux ou prophéties ?

Les discours de vœux sont souvent l’occasion d’une récitation de banalités qui, le plus souvent, promettent un avenir radieux. Il y a ainsi fort à parier que dans quelques jours on nous garantisse le retour de la croissance, de l’emploi, la fin du terrorisme et des dérèglements climatiques. De la même manière que la pollution paraît être une constante du XXe siècle, les vœux se prononcent tout au long de la période contemporaine. Mais, s’ils peuvent parfois exaspérer le citoyen qui les subit, ils font bien souvent le régal de l’historien qui y voit une archive particulièrement riche.

Carte postale. Collection particulière.

En effet, les vœux permettent de saisir assez efficacement l’air du temps. Sans surprise, c’est bien de la guerre que parle le dénommé Maurice Duval en 1916 dans ses vœux aux lecteurs du Moniteur des Côtes-du-Nord1. Cela fait en effet dix-huit mois que le conflit a éclaté et la litanie des absents – mobilisés mais aussi prisonniers, disparus et morts, sans compter les blessés, amputés et autres trépanés – place la guerre dans tous les esprits. Aussi est-ce sans doute pourquoi le propos est-il si rassurant, malgré une formulation grandiloquente : «  l’année 1915 s’achève dans le calme robuste que donne l’invincible confiance ». Et il est vrai que le premier argument asséné par l’auteur n’est pas sans fondements : « nous avons achevé de nous organiser ; nous avons mobilisé nos industries de façon à produire en masse des munitions et des pièces d’artillerie ».

On peut être en revanche plus circonspect lorsqu’on lit que «  à deux reprises différentes nous avons pris l’initiative de l’attaque ; ce furent nos offensives d’Arras en mai, et celles de Champagne et d’Artois en septembre ». Ces opérations sont en effet présentées comme ayant débouché sur des « gains sérieux » alors qu’elles se soldent en réalité par des échecs cuisants et éminemment meurtriers. Pour ne citer qu’un exemple, le 25 septembre 1915 le 47e RI ne peut même pas sortir de ses lignes ! Aussi peut-on être sceptique lorsque Maurice Duval explique que « à chaque fois […] il s’en est fallu de peu que l’ennemi ne soit complètement en déroute ». Mais qu’en est-il des lecteurs du Moniteur, lecteurs qui peuvent par ailleurs découvrir ces propos tapis dans une tranchée puisqu’on sait que nombreux sont les poilus à se faire envoyer par leurs familles la presse locale, pour rester en lien avec leur petite patrie ?

Là est une question à laquelle il est bien difficile de répondre, faute d’archives. Et il s’agit pourtant d’un point crucial tant les propos de Maurice Duval paraissent plus tenir de l’auto-persuasion que de l’analyse finement murie :

« Il y a un an nous lui [l’ennemi allemand] résistions avec peine et au prix des plus rudes efforts ; aujourd’hui c’est lui qui se défend et se sent impuissant devant nous. Nos forces, en effet, sont intactes et par le jeu méthodique des réserves, nous avons pu combler largement les vides et nous avons encore de grandes ressources de ce côté ; au point de vue économique, on peut dire que le pays ne souffre que le minimum des maux inhérents à l’état de guerre ; enfin, au point de vue financier, la situation est excellente et tellement robuste que de toutes parts, à l’étranger, on est venu souscrire à notre emprunt. »

14 janvier 1916: une équipe de territoriaux employée en Argonne à la réfection d'une route. BDIC: VAL 116.

Mais comment les combattants et leurs familles peuvent-ils réagir en lisant que « Désormais, nous nous sentons les plus forts ; nous avons conscience de notre pouvoir, nous comprenons que le jour où nous le voudrons, nous chasserons l’étranger de chez nous » ? Comme si tous les morts des années 1914 et 1915 ne l'avaient pas voulu... Encore une fois, il est bien difficile de le savoir. Peut-être que les lecteurs se sont pour la plupart raccrochés à l’espoir qu’apporte la dernière phrase de Maurice Duval : « En vérité, l’année 1916 s’ouvre, pour la France, sous les auspices les plus favorables et nous saluons son aurore comme une messagère de bonnes nouvelles ». Une hypothèse qui, lorsque confrontée au bourrage de crâne, invite à interroger l’attitude de Maurice Duval mais également celle de ses lecteurs.

Erwan LE GALL

 

1 « 1916 ! », Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 46e année, n°1, 1er janvier 1916, p. 2.