Un poilu hors-normes

S’il est une étude qui reste encore à mener en cette période de centenaire de la Première Guerre mondiale, c’est bien celle des poilus hors-normes, c’est-à-dire engagés alors qu’ils étaient soient très jeunes, soit très vieux, ou tout du moins plus âgés que ne l’exigeaient les règlements en vigueur. Certes, on connait le cas de Corentin Carré, le jeune poilu du Faouët dans le Morbihan, ou au contraire, celui d’Antoine Courchinoux, engagé volontaire à 70 ans. Mais en dehors de ces quelques cas célèbres, l’historiographie ne sait pas grand-chose de ces combattants qui se situent en dehors des classes d’âge théoriquement concernées par la mobilisation.

Pour autant, au moment d’évoquer ces poilus hors du commun, ce n’est probablement ni à Antoine Courchinoux ni à Corentin Carré qu’il faut penser en premier mais bien à Henri Collignon qui, au critère de l’âge, ajoute à son parcours extraordinaire une remarquable singularité sociale. Qu’on en juge plutôt : ancien préfet du Finistère, Conseiller d’Etat, Secrétaire général de l’Elysée ayant servi deux Présidents de la République – Armand Fallières et Raymond Poincaré – il s’engage pourtant à 58 ans et ce comme simple soldat de deuxième classe !

Carte postale. Collection particulière.

Docteur en droit, Henri Collignon mène une carrière classique de haut-fonctionnaire oscillant entre postes dans la préfectorale – dont deux en Bretagne puisqu’il est également Secrétaire général de la préfecture du Morbihan – et fonctions dans divers cabinets ministériels. Mais ce brillant cursus honorum s’interrompt en 1914 lorsqu’il décide de contracter un engagement volontaire au 46e régiment d’infanterie, unité casernée à Paris et Fontainebleau qui, de suite, lui décerne une place de choix : celle de porte-drapeau. C’est là le seul le honneur qu’accepte Henri Collignon puisqu’ayant plusieurs fois refusé d’être promu sous-lieutenant, il meurt pour la France en tant que simple soldat de deuxième classe le 15 mars 1915 à Vauquois, dans la Meuse.

Aujourd’hui oublié, cet ancien Secrétaire de général de l’Elysée jouit pourtant d’une certaine notoriété pendant la guerre et durant les quelques années qui suivent l’Armistice. Fait assez rare pour être noté, le journal des marches et opérations du 46e RI indique à la date du 15 mars 1915 que « à 15 heures M. Collignon est tué », alors que ce type de mentions ne concerne généralement que les officiers. En témoigne également la stèle qui est érigée en son honneur sur les lieux même de son trépas où les quelques rues qui sont dénommées d’après lui. Le cas de la ville de Rennes est à cet égard particulièrement intéressant puisqu’on connait la politique en la matière de cette commune : comme pour mieux suggérer son statut de capitale régionale, qu’il dispute avec Nantes, le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine a l’habitude au cours des années 1920-1930 de baptiser ses places et voies publiques du nom des illustres Bretons qui se sont distingués au cours de l’Histoire. C’est à ce titre qu’une délibération du conseil municipal de Rennes dénomme en juillet 1923 une rue Henri Collignon, en souvenir de l’ancien préfet du Finistère1. Et peu importe si celui-ci est en réalité natif de la Gironde et membre du conseil municipal de la petite ville de Saint-Georges-de-Didonne, près de Royan.

Erwan LE GALL

 

1 Arch. Mun. Rennes : 1 D 157, Séance du conseil municipal du 24 juillet 1923, p. 422.