Loin de Verdun, la plage… Regards sur la saison touristique 1916 en Bretagne

« Billets de famille pour les vacances » annonce, dans son édition du samedi 12 août 1916, L’Avenir du Morbihan, journal vannetais, évoquant les tarifs préférentiels proposés par les chemins de fer de l’Etat afin de profiter au mieux de cette période de « villégiature ». Dans son édition du 19, ce sont les « billets de bains de mer » qui sont présentés, « billets d’aller et retour à prix réduits,[…] délivrés actuellement dans toutes les gares du Réseau de l’Etat », vers le Sud-Ouest de la France, la Normandie, mais aussi bien sûr la Bretagne.

Carte postale. Collection particulière.

En juin, c’étaient les Chemins de fer d’Orléans qui faisaient publier, entre autres dans Le Progrès du Morbihan, une publicité titrée « Villégiature et tourisme sur la côte sud de la Bretagne », rappelant que « tout le long de cette côte on peut villégiaturer sur les plages charmantes de Pornichet, de la Baule, du Pouliguen, du Croisic, de Batz (proches de Saint-Nazaire, point de départ de paquebots pour l’Amérique centrale) », mais aussi « de Quiberon (traversée pur Belle-Ile, Concarneau, Douarnenez, Beg-Meil, Morgat ». Les attraits de la région sont vantés : « il y a […] dans la région de grandioses falaises rocheuses (Pointes du Raz et de Penmarch), des églises au flèches élancées, des calvaires artistiquement travaillés (Plougastel-Daoulas, Pleyben etc.) ». « Enfin », précise le texte, « dans le département du Morbihan, curieux aussi par sa mer intérieure, se voit la plus riche profusion de monuments mégalithiques (menhirs et dolmens de Carnac et de Locmariaquer) ». « Un service de trains express de jour et de nuit donne toutes les facilitées pour les villégiatures et le tourisme » conclut l’article.

Attirer les touristes en Bretagne

En pleine guerre, en pleine bataille de Verdun et de la Somme, l’on pense en Bretagne – entre autres, mais pas seulement – à  la saison touristique à venir ou en cours, mais aussi aux suivantes1. Lors de la séance du 12 septembre 1916, les conseillers généraux du Morbihan se penchent ainsi sur la question du tramway reliant Etel à La Trinité. M. de Langlais suggère en effet « le prolongement de la ligne jusqu’à Vannes […] le long du golfe du Morbihan. On voit quels avantages présente ce projet au point de vue pittoresque, en ce qui concerne les touristes, et au point de vue économique, en ce qui concerne cette région si déshéritée » explique l’article qu’y consacre le 17 septembre Le Courrier des campagnes, publié à Lorient, des arguments repris par L’Avenir du Morbihan dans son édition du 14 octobre suivant2. La manne financière que représente le tourisme pour la région n’échappe à personne, pas même aux responsables de l’œuvre du colis aux prisonniers de Quimper qui suggèrent aux instituteurs de demander à leurs élèves de poursuivre leur action pendant les vacances : « Au moment où ils vont jouir de leur liberté pleine et entière, il ne faut pas qu'ils oublient qu'il y a des Français qui injustement, sont privés de la leur. Les écoliers doivent, non seulement continuer leurs versements habituels, mais encore intéresser à notre œuvre les baigneurs et les touristes qui viennent chaque année visiter nos plages et nos sites. Aucun ne voudra refuser sa modique obole faveur des malheureux prisonniers » indique un article publié dans Le Citoyen, publication radicale quimpérois, le 21 juillet 1916. Et si, quelques jours plus tard, un texte publié dans L’Union agricole et maritime, journal de Quimperlé, évoque les « tristes vacances [que] nous allons passer cette année ! » – « adieu longs et jolis voyages d'autrefois ! adieu la Suisse, les plages de Normandie, de Biarritz... rien que notre Bretagne, rien même que notre Finistère, connu de nous sur le bout des doigts » semble regretter l’auteur –, c’est en fait pour mieux mettre en avant les trésors du département : « monotones, le seraient-elles, vraiment, ces vacances passées dans ce Finistère que bien peu connaissent sur le bout des doigts ? » s’interroge faussement le texte.

Une « saison » au goût amer pour certains

Le lieutenant Eugène Delahaye, avant-guerre rédacteur du Nouvelliste de Bretagne, mobilisé au 41e RI comme lieutenant porte-drapeau, publie dans le journal rennais en août 1916 une chronique des plus révélatrices sur sa première permission après la bataille de Verdun3.

Carte postale. Collection particulière.

À la une – ce qui est rare pour des nouvelles touchant directement la Bretagne, plutôt cantonnées aux pages intérieures –, il dénonce implicitement l’indifférence de l’arrière face à ce qui s’est joué – et se joue encore – sur le front de la Meuse. Il évoque plus particulièrement la plage de Trestaou, à Perros-Guirec, saisie en ce 4 août sous un ciel « d’un bleu foncé, d’un bleu rare en Bretagne ». Sur la plage, « grand tapis d’or frangé d’écume blanche », « d’innombrables familles jouent, papotent, lisent, se promènent ». « Ce ne sont qu’enfants multicolores et jeunes filles en toilettes claires, agrémentées (?) de ces drôles d’écharpes vert d’eau ou orange, rose saumon ou bleu pâle sans lesquelles, pour nos jeunes filles modernes, une villégiature ne serait plus une villégiature » poursuit le journaliste.

« Pas de familles en deuil » note-t-il. « Les vêtements noirs laissent la plage dorée aux heureux et vont se réfugier plutôt vers les rochers dont les grisailles s’harmonisent mieux avec le crêpe… Mais Dieu que cette plage est gaie, ensoleillée, colorée ! Comme on a l’air de s’y amuser ferme. Après deux ans de guerre, ceux qui n’ont pas souffert – et il faut croire qu’il y en a beaucoup… tant mieux pour eux ! – semblent avoir une fringale de jouissance. Ah ! je vous assure bien qu’il y a des gens qui ne s’intéressent pas davantage à la guerre qu’à un spectacle de ménagerie. Chaque matin on lit tout de même les communiqués […]. La lecture du journal n’est pas terminée que l’on projette déjà une partie de tennis. Ah ! Thiaumont peut être un charnier et la guerre durer jusqu’au presque dernier… La vie est toujours belle dans les maisons ou la mort n’a pas frappé ».

Carte postale. Collection particulière.

L’amertume exprimée ici par Eugène Delahaye, par les combattants de manière générale, du fait du décalage croissant entre la vie au front et l’insouciance – réelle ou supposée – de l’arrière n’est pas nouvelle : elle apparaît dès l’automne 1914. Elle prend sans doute une nouvelle dimension alors, qui n’est pas sans conséquences sur le moral des soldats dans les mois qui suivent.

Yann LAGADEC

 

 

 

 

1 EVANNO, Yves-Marie et VINCENT, Johan, « Loin des tranchées, la plage. Réflexions sur le tourisme dans le Morbihan », in EVANNO, Yves-Marie et LAGADEC, Yann (dir.), Les Morbihannais à l’épreuve de la Grande Guerre, Vannes, 2016 (à paraître).

2 La préoccupation n’est d’ailleurs pas propre aux cités balnéaires. Dans Le Journal de Pontivy, Emile Gilles, en mars 1916, évoque la nécessaire création d’un « comité qui se chargerait de prendre en main les intérêts artistiques de note arrondissement ». « Il conviendrait surtout d’envisager, dès maintenant, ce qui pourrait être fait pour attirer après la guerre les touristes dans notre pays, si pittoresque à tous égards, et préparer le réveil économique de la région » explique-t-il. Il développe et précise cette idée dans l’édition du 9 avril 1916 du même journal. Un comité est créé dans les semaines qui suivent.  

3 Voir GUERIN, Christophe et LAGADEC, Yann, 1916. Deux régiments bretons à Verdun, Rennes, SAHIV/Amicale des Anciens du 41e RI, 2016.