1915 : premier 14 juillet de guerre

Lorsque la guerre éclate en août 1914, personne n’imagine un seul instant qu’elle durerait aussi longtemps. Chacun est encore plongé dans l'illusion d’un conflit court, réglé au cours d’une violente mais décisive bataille. Un an plus tard, le 14 juillet 1915, alors que la guerre est enlisée dans la glaise dans les tranchées, nul ne peut en prédire l’issue ce qui, bien entendu, n’est pas sans conséquences sur la célébration de la fête nationale. A Lorient, le Nouvelliste du Morbihan préfère ainsi s’en remettre aux prophéties d’un colonel américain publiées par le Pennsylvania Magazine – il semble que cela soit la seule garantie de sérieux du propos – qui affirme que les Allemands demanderont l’armistice au mois de décembre…

Carte postale. Collection particulière.

A Brest, le rédacteur en chef de la Dépêche, Louis Coudurier, affirme que cette journée du 14 juillet 1915 « sera marquée surtout par l’absence complète, absolue, de réjouissances populaires ». Et pour cause, à l’en croire, « bals champêtres, beuveries de plein air, lampions et musique ne sont pas de saison ». La guerre efface toute réjouissance sur son passage au nom de l’Union sacrée entre l’arrière et les combattants, absents de leurs foyers depuis parfois près d’un an. Ceci, sans parler des morts et des disparus…

A Rennes, L’Ouest-Eclair ne fait d’ailleurs aucune allusion en première page à la fête nationale et publie au contraire un éditorial sur la neutralité de Belgique, comme si une dose de pédagogie pour rappeler le sens de cette tragédie était nécessaire. Il faut attendre un court article en troisième page pour apprendre que le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine ne commémore pas en 1915 cette journée si particulière : « Tout le monde comprendra qu’à une heure où nos vaillants soldats, là-bas, sur le vaste front, luttent pour le salut et le triomphe de la France ; à une heure où si tant de gloire déjà jette son lustre sur nous, tant de deuil aussi nous afflige, il n’y ait point place pour la parade et pour la réjouissance publique ». Il est vrai qu’au même instant le 47e RI de Saint-Malo vient tout juste d’être relevé après de dramatiques combats au nord d’Arras. Egalement très éprouvé dans les mêmes parages, le 41e RI de Rennes est lui, à en croire le rédacteur du journal des marches et opérations de l’unité, au « repos », les hommes pouvant même profiter d’un « concert ». En ce 14 juillet 1915, seuils les poilus ont le droit de se divertir.

Les communes bretonnes ne se distinguent nullement dans cette journée particulière et paraissent au contraire se conformer à la lettre aux consignes du ministre de l’intérieur, Louis Malvy, qui prescrit la veille que « la Fête Nationale du 14 juillet devrait avoir cette année un caractère exclusivement patriotique et commémoratif ». Mais, plus qu’une décision imposée par l’Etat aux municipalités, c’est bien d’une communion de points de vue dont il s’agit ici. A Lorient, le 14 juillet se résume ainsi à un pèlerinage au cimetière et à un hommage rendus aux morts par tous les élèves de la ville.

Carte postale. Collection particulière.

Mais l’unanimité de façade ne doit pas tromper. Derrière la posture patriotique de l’Union sacrée, la vie à l’arrière a repris son cours, tant bien que mal mais depuis déjà plusieurs mois. Les luttes politiques également. Et c’est ainsi que sous couvert d’un vibrant appel patriotique, la tribune de Louis Coudurier n’est en réalité qu’une violente charge contre le maire socialiste de Brest, Ernest Hervagault, qui, non mobilisé, est de surcroît suspecté d’antipatriotisme. Les poilus qui viennent d’apprendre qu’ils disposent désormais du droit de permission – signe évident d’un enlisement dans une guerre dont on ne voit pas l’issue – ne tarderont pas à s’en rendre compte par eux-mêmes lorsqu’ils reviendront pour quelques jours dans leurs foyers. L’éloignement avec l’arrière n’en sera que plus important.

Erwan LE GALL