La Bretagne et l’armistice... du 7 novembre 1918

A la date du 7 novembre 1918, le curé Sevaille note dans le livre de paroisse de La Guerche qu’il tient scrupuleusement depuis août 1914 : « ce soir la grande nouvelle nous arrive par le télégraphe : les hostilités sont finies depuis deux heures, après la Turquie, qui avait mis bas les armes et l'Autriche, qui avait capitulé il y a trois jours, voici l'Allemagne, si orgueilleuse jadis, si sûre de son succès, si menaçante encore il y a quatre mois, jusqu'à ses dernières victoires de juillet, voici l'Allemagne à genoux ». L’émotion de l’ecclésiastique ressort des quelques lignes qu’il couche ce jour-là sur le papier : « Quelle joie ! » écrit-il. « Après 51 mois de souffrances et de craintes ! Après tant de deuils, de sang versé, de ruines amoncelées ! Ma main tremble en écrivant sous le coup de cette heureuse émotion » poursuit-il.

Carte postale. Collection particulière.

L’armistice, le 7 novembre 1918 ? L’information est – faut-il le préciser ? – rapidement démentie par l’ecclésiastique qui se rend compte de la méprise collective. Il n’en reste pas moins que la commune de La Guerche n’est la seule concernée par la rumeur.

Une rumeur partie du front ? 

Comme souvent, il est difficile de connaître les origines d’une rumeur, d’un bruit, d’un « perco » comme disent les poilus sur le front. Pourtant, cette rumeur d’un armistice signé le 7 novembre est bien présente dans la zone des armées. Plusieurs combattants bretons ou attachés à des unités mobilisées en Bretagne en 1914 en témoignent.

C’est le cas de Gaston Mourlot entre autres, mobilisé au 65e RI de Nantes, passé ensuite à l’une des compagnies du génie attachées à la 22e DI, la division de Vannes, groupant des unités de Vannes, Lorient, Quimper et Brest. Ce 7 novembre 1918, il est dans les Ardennes où le 11e corps d’armée talonne les forces allemandes qui battent en retraite en combattant. « Deux cuistots nous apprennent le clou de la journée » explique-t-il, en un mot que les parlementaires allemands devraient signer l’armistice sans tarder. « J’ai confirmation de cette nouvelle un peu plus loin par un Italien » précise le sapeur : « lui, augmente le fait et dit que la signature de l’armistice aurait lieu cet après-midi à trois heures ». Des cuistots, au cœur de la circulation des rumeurs dans les régiments, un Italien peinant sans doute tout autant à saisir les nuances de propos saisis en passant qu’à les retransmettre : voici les sources de Gaston Mourlot qui n’accorde d’ailleurs qu’une attention limitée à ces « bruits »1.

Louis Henrio, er Barh-Laboureur, raconte pourtant lui aussi des événements assez semblables dans Le tournant de la mort. A la date du 7 novembre 1918, il note que « le bruit a couru cet après-midi que des émissaires de l’Allemagne sont venus en France pour proposer la paix », affirmant le lendemain, que « les armes se sont enfin tues ». « C’est la joie » précise-t-il :

« Ceux qui ne voient pas plus loin que la fin de la guerre crient, hurlent en croyant qu’ils rentreront à la maison dès demain, et que tout sera comme avant. Les plus sages sont plus circonspects. »2

Son récit, composé pour une part après-coup à partir de notes prises au jour le jour, est cependant corroboré par la lettre qu’il envoie le 8 novembre à son épouse : « Ma Vedig » écrit-il, « quand tu recevras cette carte, tu auras certainement appris la nouvelle : les combats ont pris fin »3.

Carte postale. Collection particulière.

Au regard des moyens de communication du temps, il est cependant peu probable que la nouvelle ait circulé du front vers l’arrière et ait pu concerner, à quelques heures de décalage seulement, les Ardennes et les campagnes de Bretagne.

De la côte du Goëlo à Quimper... en passant par Morlaix

En Bretagne en effet, La Guerche n’est pas un cas isolé. A Quimper nous dit Le Citoyen, dans son édition du 8 novembre 1918, « hier, jeudi [7 novembre], dans l'après-midi, le bruit courut en ville, comme une traînée de pondre, de la signature de l'armistice et de la cessation des hostilités entre l'Allemagne et l'Entente ». Sans attendre,

« bon nombre d'habitants pavoisèrent et l'on vit flotter au vent les drapeaux qu'on avait jalousement gardé pour le jour de la victoire. Ceux qui n'avaient pas de drapeaux coururent en acheter, et bientôt dans toutes les rues, des hommes, des femmes porteurs d'emblème s'acheminaient lestement vers leur demeure ».

Même constat à Morlaix, où, nous dit L’Eclaireur du Finistère du 8, « hier, le bruit se répandait avec consistance dans Morlaix, que l'armistice était signé. Ce fut dans la population une grosse émotion ». Là aussi, « toute la soirée, une foule énorme et frémissante de joie, stationna sur la place, attendant fébrilement la confirmation officielle de l'heureuse nouvelle ». Et l’on trouve trace de manifestations semblables à Pontivy par exemple. 

Mais les villes, préfecture ou sous-préfectures pour Quimper, Morlaix et Pontivy, gros chef-lieu de canton dans le cas de La Guerche, ne sont pas les seules concernées. Dans la modeste commune de Tréveneuc – 641 habitants en 1911… –, sur la côte du Goëlo, l’instituteur raconte que le 7 novembre,

« à neuf heures du soir, au loin, on entend les cloches carillonner. Comme depuis quelques jours on parlait d’armistice, le cœur bat d’espérance. Le bruit court que l’armistice vient d’être signée. Toute la population, le cœur rempli d’allégresse, réclame la sonnerie des cloches. »

Finalement, « les portes de l’église sont ouvertes » et « les cloches vont à toute volée »4.

On le mesure bien dans le cas de Tréveneuc : l’attente de la nouvelle de l’armistice fait que le moindre signe est rapidement interprété comme confirmation de l’information espérée. Et la rumeur prend d’autant plus facilement et rapidement que, partout, la nouvelle est non seulement attendue, mais attendue avec impatience. « A l’origine [de la rumeur], nous rencontrons un état d’âme collectif » écrit non sans raison, au lendemain de la Grande Guerre, l’historien Marc Bloch à propos des « bruits » circulant sur le front : l’officier qu’il fut a pu en mesurer les effets à plusieurs reprises5.

Carte postale. Collection particulière.

Vraie ou fausse, en tout cas vraisemblable, la nouvelle de l’armistice est partout accueillie, le 7 novembre, avec une joie débordante.   

Partout, une explosion de joie

Toutes les descriptions font état d’une joie délirante, largement communicative, qui s’empare de tous, même si les modalités peuvent être partiellement différentes d’un endroit à l’autre.

Dans la petite commune de Tréveneuc, l’instituteur – laïc… – insiste sur les dimensions pour une part religieuses de ces manifestations qui mêlent joie – une « la joie triomphante » dit-il – et soulagement. Non seulement « les cloches vont à toute volée », mais pendant que « les hommes entonnent la Marseillaise », « les femmes prient », rappelant pour une part les descriptions sexuées faites de l’annonce de la mobilisation en 1914 dans nombre de communes de Bretagne : à la résignation et, parfois, l’enthousiasme des hommes, répondaient alors, sous la plume des témoins, les larmes des femmes.  

A Quimper, seul l’« enthousiasme indescriptible » est retenu par le rédacteur du Citoyen. Tandis que la « foule bruyante attendait avec impatience la confirmation officielle de la nouvelle, qui ne parvenait pas, acclamant l'armée », « des personnes, ivres de joie, pleuraient à chaudes larmes ». Dans le même temps, « des gamins parcouraient les rues avec des drapeaux aux couleurs françaises et alliées aux cris de : Vive la France ! vivent les Américains ! vivent les Alliés ! ».

A Morlaix, c’est une « foule énorme et frémissante de joie » qui se retrouve devant le Crédit Lyonnais, où vers 20h30, « un drapeau fut hissé […], aux acclamations du public ». Et la nouvelle se répand au-delà de la ville nous dit le journaliste de L’Eclaireur du Finistère : « à Pleyber-Christ, par exemple, des manifestations joyeuses avaient été organisées » pour ces mêmes raisons.

Des espoirs déçus : « grande fut la désillusion de beaucoup »

Il va sans dire que la fête, libératrice, presque cathartique, ne dure qu’un temps. Plus longtemps qu’on ne pourrait l’imaginer cependant.  

Carte postale. Collection particulière.

Rien ne vient contredire la nouvelle de l’armistice – plausible, rappelons-le – ce 7 novembre, et ce d’autant moins qu’elle est « confirmée ». A Tréveneuc, que pourraient dire d’autre les cloches entendues au loin, si ce n’est que la guerre est finie ? A Morlaix, l’agence locale du Crédit Lyonnais a « reçu de la direction […] à Brest, l'invitation de pavoiser, en raison de la prise de Sedan et la signature de l'armistice ». Et là en effet, « un télégramme américain avait annoncé la conclusion de l'armistice et la cessation des hostilités ».

Pourtant, comme le note le journaliste de L’Eclaireur du Finistère, « la nouvelle était malheureusement prématurée, et due à une fausse interprétation du télégramme américain », même si, précise-t-il dans son article, « il est probable que la signature de l'armistice sera chose faite aujourd'hui ou demain ». A Quimper, le 8 au matin, indique le rédacteur du Citoyen,  

« on s'arrachait la Dépêche de Brest, le premier journal qui arrive en ville. Quoique la gazette donnait d'excellentes nouvelles, notamment la prise de Sedan, les Parlementaires allemands sont dans nos lignes, grande fut la désillusion de beaucoup, qui y ont cherché vainement la nouvelle officielle annonçant la signature de l'armistice. »

La désillusion est d’autant plus grande que l’espoir avait été du même ordre : gigantesque. Ainsi que le précise le journaliste morlaisien de L’Eclaireur du Finistère, « pour les mères ou les épouses et les fiancées angoissées, pour tous ceux qui ont un parent ou un ami au front et dont le cœur s'épanouissait à la pensée que s'en était fini des derniers risques de la guerre », la déception était particulièrement cruelle.

Les fêtes du 11 novembre 1918, de Quimper à Tréveneuc, de Morlaix et Pontivy à La Guerche ou ailleurs, n’en seront que plus enthousiastes encore.

Yann LAGADEC

 

 

1 MOURLOT, Gaston, Un ouvrier artisan en guerre, Moyenmoutier, Edhisto, 2012, p. 450.

2 HERRIEU, Loeiz, Le Tournant de la mort, Rennes, TIR, 2013, p. 399-400.

3 HERRIEU, Loeiz, Et nos abeilles ? ... Courrier du sergent Louis Henrio (Loeiz Herrieu, er Barh-Laboureur) à Louise Le Meliner (Vedig en Evel), son épouse, 1914-1919, Rennes, TIR, 2016, p. 566.

4 Arch. départementales des Côtes d’Armor, 1 T 311. 

5 BLOCH, Marc, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de guerre », Revue de synthèse, 1921, p. 17-39.