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Barthas et le … 47e régiment d’infanterie

On ne présente plus Louis Barthas, ce tonnelier de Peyriac-Minervois (Aude) internationalement connu après la publication posthume de ses carnets par R. Cazals1. La quatrième de couverture de l’édition publiée par La Découverte en 1997 avance que François Mitterrand lui-même était un grand lecteur de Barthas, voyant dans ses carnets un livre d’une « haute valeur historique » ainsi qu’une « véritable œuvre littéraire ».

Chacun connait le parcours de Louis Barthas : ses souffrances au sein des 280e et 296e régiment d’infanterie mais aussi ses propos tranchés sur la Bretagne à l’occasion de son transfert au 248e régiment d’infanterie de Guingamp. La chose est connue mais avant d’y revenir plus en détail dans un prochain billet, car il y a encore beaucoup à dire à ce sujet, il convient de rappeler que le 248e RI n’est pas la seule unité bretonne que mentionne Barthas. En effet, dans le 16e carnet, intitulé L’assommoir du Mont Cornillet. Le 296e RI en Argonne. 26 avril 1er juillet 1917, le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo est évoqué, dans une perspective qui mérite d’être analysée.

Un paysage lunaire: le Mont Cornillet en 1917. Carte postale (détail). Collection particulière.

Racontant les combats du 30 avril 1917 au Mont Cornillet, Louis Barthas écrit (p. 463): « On aurait pu progresser davantage mais à notre droite le 47e régiment était arrêté par les mitrailleuses d’un fortin qui ne put être pris que quelques jours après ». Le journal des marches et opérations du 47e régiment d’infanterie complète avantageusement les propos du tonnelier. Ce document atteste en effet que le 47e RI est en soutien du 296e, qui se trouve à sa gauche. Malheureusement, les JMO ne nous permettent pas de nous situer plus précisément sur le champ de la bataille : ceux du 47e RI et de la 20e division ne comprennent pas de carte du théâtre d’opérations tandis que celui de la 40e brigade a disparu. On sait juste que le 47e régiment d’infanterie reçoit ce jour l’ordre de s’emparer d’une célèbre tranchée allemande, dénommée Léopoldshöhe, petite commune de Rhénanie-du-Nord-Westphalie2.

Le recours au journal des marches et opérations du 47e régiment d’infanterie est d’une grande utilité pour quiconque s’intéresse à l’expérience de guerre de Louis Barthas. L’officier en charge de la rédaction de ce document se livre en effet à une description qui complète avantageusement le propos, succinct sur cet épisode de la campagne, du tonnelier :

« A trois heures, les troupes sont en place, c’est-à-dire : le 3e bataillon dans la zone de sécurité, le 1er bataillon, CHR, sapeurs du génie dans l’ancienne première ligne allemande, le 2e bataillon à disposition de l’infanterie divisionnaire dans les anciennes premières lignes françaises, vers l’ouvrage Saint-Cyr. De 3h30 à 4h l’ennemi déclenche sur la tranchée Skoda et les boyaux de communication vers l’ancienne première ligne française un tir de barrage excessivement violent qui nous cause des pertes sensibles. De 4h à 5 heures, plusieurs avions allemands survolent nos lignes à très faible hauteur. Aucun avion français n’apparaissant, ils évoluent en toute liberté et peuvent se rendre compte de l’emplacement des troupes. La préparation reprend, assez intense. L’heure H est fixée à 12h40. La riposte allemande est très vive. Il est difficile de se rendre compte de l’état de destruction des défenses ennemies, la tranchée de Léopoldshöhe n’est pas visible et les bois encore assez épais gênent toute observation utile. A 12h40, le 3e bataillon sort de ses parallèles de départ et se lance dans les bois. Aucun bruit, aucun désordre, il semble que les hommes se livrent à quelque exercice sur le champ de manœuvre. D’abord tout va bien, l’ennemi semble muet et ne suppose en rien notre progression.  Déjà, le bataillon avait pénétré assez profondément dans les bois. Tout à coup, vers 12 h 48, de vingt endroits différents crépitent les feux nourris de mitrailleuses ennemis. Quelques-unes ne se trouvent qu’à quelques mètres de nos fantassins qui en même temps voient surgir d’abris habilement dissimulés des Allemands armés de pétards. Nos hommes en ont vu d’autres. Nos mitrailleuses et nos FM prennent position, on saisit des grenades et une lutte acharnée s’engage. Bien qu’on sente l’ennemi en nombre et résolu à tenir sur des positions formidablement organisées, aucun mouvement de recul ne s’esquisse. Le commandant blessé reste à la tête de son bataillon et excite ses hommes. Cependant, le feu des mitrailleuses ennemies devient de plus en plus nourri, le régiment à gauche [Le 296e RI de Louis Barthas NDA] ne progresse que très difficilement et tout l’effort de l’ennemi se concentre sur le terrain que nous devons occuper. Toute progression devient impossible ; plusieurs fortins qui n’ont nullement été détruits pendant notre préparation d’artillerie offrent des obstacles infranchissables. On essaie, mais en vain, de les démolir en faisant tirer le groupe d’accompagnement de l’artillerie de tranchées ; le nombre des bombes est insuffisant. »

La journée s’achève avec le retour du 47e régiment d’infanterie à la nuit dans ses tranchées de départ. Le bilan est particulièrement lourd : 29 morts, dont un officier, le sous-lieutenant Bouquillard, et 69 blessés.

Photographie stéréoscopique d'un blockhaus allemand sur le mont Cornillet. Collection particulière.

Plusieurs éléments sont à retenir dans ce passage.

Tout d’abord, les indications temporelles sont d’un grand intérêt. Même si nous n’étions pas là pour tenir le chronomètre et que nous ne pouvons pas en conséquence garantir l’exactitude des chiffres donnés, ceux-ci donnent un ordre de grandeur qui suggère la grande rapidité avec laquelle les évènements se déroulent.

Du point de vue des opérations, on constate que le caractère technologique de la Première Guerre mondiale – il ne semble pas nécessaire de développer plus ce point tant il s’agit là d’une réalité connue – ne doit pas contribuer à faire oublier les dimensions beaucoup plus humaines du combat telles que la ruse. On voit bien ici comment les troupes allemandes attirent le 47e régiment d’infanterie dans une sorte de souricière pour mieux contre-attaquer. Ce faisant, un tel extrait rappelle combien le champ de bataille du premier conflit mondial privilégie la défensive. C’est bien d’une guerre de siège mutuel qu’il s’agit3.

D’ailleurs, on ne peut que relever combien l’armée française de 1917 est sur le chemin de la spécialisation des corps puisque le 47e RI est impliqué dans une attaque mobilisant outre de l’infanterie, une unité du génie, une compagnie hors-rang chargée du choc, ce sans même parler de la liaison avec l’artillerie, détaillée sans plus de précision dans cet extrait. L’officier en charge de la rédaction du journal des marches et opérations explique par ailleurs combien l’infanterie est dépendante de l’aviation. Bref, c’est bien d’un combat inter-armes qu’il s’agit ici.

Chargement d'une grosse pièce d'artillerie. Collection particulière.

Enfin, confronter les carnets de Louis Barthas à cet extrait du journal des marches et opérations dit bien combien personne ne souhaite endosser la responsabilité de l’échec. Même si le tonnelier de Peyriac-Minervois se défend de toute fierté régimentaire4 et s’il est particulièrement hostile au commandement, son explication de l’échec de cette offensive est très claire : « On aurait pu progresser davantage mais à notre droite le 47e régiment était arrêté par les mitrailleuses d’un fortin qui ne put être pris que quelques jours après ». Or on remarque non sans malice que c’est rigoureusement le même argument, renversé, qu’utilise l’officier en charge de la rédaction du JMO du 47e RI pour expliquer l’échec de l’offensive de son unité : « Cependant, le feu des mitrailleuses ennemies devient de plus en plus nourri, le régiment à gauche ne progresse que très difficilement et tout l’effort de l’ennemi se concentre sur le terrain que nous devons occuper. » Mais comme les fantassins ne semblent pas pouvoir se rejeter mutuellement la responsabilité de cet échec, tous deux s’accordent, au final, pour désigner un troisième coupable, l’artillerie.

Pour Barthas, le propos est clair puisqu’il accuse à mots couverts l’artillerie française de tirer trop court, ce qui est également un moyen de dénigrer l’ennemi puisque dans un tel discours, les Allemands ne sont pas capables de tuer les assaillants. Pour le 47e régiment d’infanterie, le propos est sensiblement comparable puisque c’est la non-destruction des fortins allemands par la préparation d’artillerie qui empêche toute progression. En d’autres termes, si entre fantassins on peut se jeter mutuellement la responsabilité de l’échec d’une offensive, face à un artilleur, c’est nécessairement ce dernier qui est coupable. Où l’on découvre que malgré leurs différences, carnets de guerre et journaux des marches et opérations sont deux des sources éminemment subjectives.

Erwan LE GALL

 

1 BARTHAS, Louis, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Paris, La Découverte, 1997. Nous souhaiterions ici remercier chaleureusement G. Sudour qui fut pour cet article un précieux aide-mémoire.

2 SHD-DAT : 26 N 636/9, JMO 47e RI ; 26 N 742/7, JMO 296e RI; 26 N 301/5, JMO 20e division d’infanterie.

3 « Trench warfare is usually described as military operations between two entrenched armies. It is a form of stalemate in which neither side can breach or outflank the defenses of the other so that breakthrough cannot be achieved, irrespective of the size or type of operation carried out to achieve that aim. In other word, it is mutual siege. » SAUNDERS, Anthony, Trench warfare, 1850-1950, Barnsley, Pen & Sword, 2010, p. 8.

4 BARTHAS, Louis, op. cit., p. 219 : « Si nos grands chefs crurent nous affliger et nous humilier en dissolvant le 280e, ils se trompèrent grandement, cela nous indifférait, notre sort ne changeait pas. »