Madame de la mer : Virginie Heriot

Bien avant Florence Arthaud, il y eut Virginie Hériot. Les deux femmes ont d’ailleurs, outre leur amour de la mer et des bateaux, beaucoup en commun : une enfance parisienne dans un milieu des plus privilégiés, une découverte de la navigation en Méditerranée, un palmarès en compétition hors du commun, une fin tragique et bien entendu un rapport singulier avec la Bretagne.

Virginie Hériot à la barre . Collection particulière.

Héritière des Grands magasins du Louvre – une enseigne parisienne aujourd’hui disparue mais qui était l’équivalent du Bon marché ou de l’empire fondé par la famille Decré à Nantes – Virginie Heriot naît le 25 juillet 1890 au Vésinet. Richissime, elle est toutefois marquée dans son enfance par deux drames : la mort de l’un de ses frères puis celle de son père, survenue alors qu’elle n’a pas dix ans. Sont-ce ces deux décès qui lui donnent ce goût de l’ailleurs qui se matérialisera par l’envie de courir les mers ? C’est en tout cas très tôt, à l’âge de 14 ans, qu’elle contracte le virus de la navigation, à l’occasion d’une croisière en Méditerranée effectuée à bord d’un luxueux vapeur, propriété de la famille. Elle n’a alors plus qu’un souhait, « devenir marine ».

C’est ce que Virginie Hériot parvient à faire brillamment dans les années 1920, en s’affirmant comme une véritable championne et en glanant même, en 1928, à bord d’Aile VI, la médaille d’or aux jeux olympiques d’Amsterdam. Femme du monde, Virginie Hériot devient alors une véritable vedette. Florence Arthaud était « la petite fiancée de l’Atlantique », Virginie Hériot est elle « Madame de la mer ». Or ces deux surnoms ne peuvent pas être déconnectés d’un certain nombre de stéréotypes de genres qui, à plus de 50 ans d’écart, résonnent étrangement.

Si la trajectoire de Virginie Hériot n’est bien évidemment pas représentative de l’évolution de la condition féminine dans son ensemble tant son milieu est spécifique, il est indéniable que sa coupe à la garçonne et ses victoires remportées au nez et à la barbe de prestigieux yachtmen ont pu apparaître comme éminemment transgressives du point des rapports de genre.  Bien que disposant d’importants moyens financiers et d’un carnet d’adresses sans équivalent ou presque – elle compte par exemple parmi les intimes du maréchal Pétain – il ne faut pas se méprendre sur ce que pouvait avoir de marginal un mode de vie tel que le sien. Que l’on songe pour s’en convaincre à ces clichés publiés en 1931 par L’Ouest-Eclair pour annoncer le départ de la croisière qu’elle effectue à partir de Marseille et à bord de sa goélette Ailée II avec Alain Gerbault, autre non-conformiste notoire.

Construit par les prestigieux chantiers anglais Camper & Nicholson, ce navire est alors considéré comme « l’un des plus beau yachts » jamais construits. Son passage à Lorient, en octobre 1928, quelques mois seulement après sa mise à l’eau, ne laisse pas insensible L’Ouest-Eclair qui lui consacre d’ailleurs pour l’occasion un article ! Il en est de même lorsque la célèbre yachtwoman honore de sa présence la Société nautique de la baie de Saint-Malo. Pour autant, il n’en demeure pas moins qu’à ces notables exceptions, les liens qu’entretient Virginie Hériot avec la Bretagne sont pour le moins distendus. A l’exception du quotidien rennais, son nom n’est d’ailleurs que rarement évoqué par la presse bretonne.

Ailée II en régate en 1931. Collection particulière.

Pourtant, c’est en rade de Brest Virginie Hériot souhaite voir ses cendres dispersées après sa mort, ce qui pourtant ne peut avoir lieu alors qu’elle décède subitement à Arcachon le 28 août 1932. Pourquoi un tel choix alors que la Méditerranée est objectivement son plan d’eau de prédilection ? Parce que Virginie Hériot ne conçoit pas sa pratique du nautisme sans, d’une part, un important volet patriotique, puisque c’est bien le pavillon français qu’elle porte haut en mer, sans d’autre part une évidente dimension pédagogique. C’est ainsi notamment qu’elle devient une éminente bienfaitrice de la Marine nationale, et plus précisément encore de l’Ecole navale de Brest, en offrant sur ses deniers personnels une dizaine de monotypes pour que les élèves-officiers puissent s’entraîner. Une générosité que la Royale n’oubliera pas puisque c’est finalement en 1948 que le corps de Virginie Hériot est immergé au large de Brest. Mais c’est moins la championne que la bienfaitrice de l’Ecole, une institution qui renvoie à l’éducation des enfants, attribution féminine par excellence, qui est alors honorée.

Erwan LE GALL