Le Titanic breton

Sobre et d’autant plus dramatique, L'Ouest-Eclair barre sa « une » du 20 novembre 1905 d’un titre qui fait froid dans le dos : « La catastrophe de Saint-Malo ». Parti de Southampton  le  jeudi 18 novembre, le vapeur Hilda devait normalement arriver à Saint-Malo le lendemain malgré le temps épouvantable – la neige tout particulièrement – qui, depuis plusieurs semaines, s’abat sur la Bretagne. Aussi commence-t-on à s’inquiéter de ne pas voir arriver ce bâtiment de la London and South Western Railway Company ...

Gravure représentant le Hilda parue le 20 novembre 1905 dans L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

Il est vrai que l’approche de Saint-Malo est particulièrement dangereuse, minée par les nombreux récifs. Et c’est justement sur les roches de l’une de ces passes, ironiquement dénommée « des Anglais », que se fracasse le Hilda. Un matelot, James Grinter, raconte : « Nous étions entourés de rochers que la mer battait furieusement : le commandant et le second étaient tous les deux à leur poste et gardaient tout leur sang-froid »1. Mais rien y fait. Le navire, trop incliné pour permettre la mise à l’eau des canots de sauvetage, sombre aussi rapidement qu’inéluctablement dans la mer glaciale.

Le bilan est extrêmement lourd, ce qui vaut au Hilda sa réputation de Titanic breton. Au départ de Southampton, le vapeur transporte 121 passagers avec un équipage de 6 marins. A l’arrivée, ne survivent que six hommes, dont un matelot, James Grinter. Parmi les victimes, on dénombre 65 johnnies de Roscoff, ces cultivateurs bretons partis vendre leurs oignons en Angleterre.

Tout comme le Titanic, le Hilda est un véritable traumatisme pour la population. Sur la plage de Saint-Cast, ce ne sont ainsi pas moins de 69 cadavres, dont celui du capitaine William Gregory, un habitué de cette liaison transmanche qui l’effectue depuis une trentaine d’années. Pendant des semaines, la mer jette sur les côtes les vestiges du vapeur : espars brisés, éléments de la coque, pourtant construite en acier, morceaux des chaudières, débris divers des aménagements intérieurs…

Gravure parue le 26 novembre 1905 dans L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

Les obsèques, au son de la Marche funèbre de Chopin, le 25 novembre 1905, se déroulent en la cathédrale de Saint-Malo devant une foule recueillie, compacte et transie, de plus de 3 000 personnes. Parmi l’assistance on remarque un certain nombre de personnalités qui disent bien le choc que constitue le naufrage du Hilda : la catastrophe est telle qu’elle est en effet de nature à éteindre, pendant quelques heures, les polémiques suscitées par le projet de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Lorsque l’on connait la crise suscitée, quelques semaines plus tard, par l’inventaire de l’église de Saint-Servan, il est en effet assez remarquable de trouver en la cathédrale de Saint-Malo, à l’occasion de cette cérémonie, le sous-préfet Ottenheimer, le général Davignon commandant la 20e division ainsi que bon nombre d’officiers du 47e régiment d’infanterie. Les discours prononcés sont également l’occasion d’une réaffirmation, dans la douleur, de la toute jeune Entente cordiale unissant la France et l’Angleterre .

Mais les obsèques ne signifient pas disparition du Hilda des gazettes. Une fois un nécessaire moment de deuil passé, c’est la polémique qui surgit, rapprochant encore un peu plus ce drame de celui du Titanic. Ici, point de débat sur l’insubmersibilité des navires mais sur l’éclairage des parages de Saint-Malo, et tout particulièrement du phare du Jardin, distant d’à peine quelques centenaires de mètres de la catastrophe.

Erwan LE GALL

1 Cité in FEIGE, Emmanuel, Les trésors engloutis de la baie de Saint-Malo, Saint-Malo, Editions Cristel, 2005, p. 36.

« La catastrophe de Saint-Malo », L’Ouest-Eclair, n°3183, 26 novembre 1911, p. 2.