France et la puissance nationale

La phrase, prononcée le 11 mai 1960 par le général de Gaulle à l’occasion du lancement aux chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, d’un paquebot devant faire la fierté de tout un pays, est restée célèbre : « France va épouser la mer ! ». Par ces quelques mots, l’homme du 18 juin, devenu Président de la Ve République, semble revenir malicieusement sur l’histoire d’un pays qui, obnubilé depuis 1870 par les frontières de l’Est et l’Allemagne, a définitivement tourné le dos à son littoral et, de manière plus générale, à la chose maritime.

Carte postale, collection particulière.

C’est en effet à une sorte de navalisme des Trente glorieuses que fait penser cette phrase, époque surannée où le prestige d’une Nation se compte également sur les mers, à l’aulne de navires de prestige tels que le France. Illustration du soft power, ces gigantesques bâtiments n’en sont pas moins de réels outils de puissance, à l’instar des dreadnoughts d’antan ou du porte-avions Charles de Gaulle aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter à l’édifiant article que publie dans son édition du 20 janvier 1962 le magazine Cols bleus, organe de presse qui se présente comme étant le « Journal de la marine française », sous-entendu de la Royale, la marine militaire et non la marine marchande1. La distinction est d’importance et dit bien l’intérêt que suscite le France.

C’est la première traversée du France, entre Le Havre et Southampton, que racontent les quelques lignes publiées par l’hebdomadaire de la Marine nationale. Comme aurait pu le faire un illustré tel que Paris-Match, Cols bleus s’attache à détailler les passagers prestigieux à commencer par l’ancien Président de la République René Coty, il est vrai originaire du Havre et ayant remporté de nombreux scrutins dans ce département que l’on appelait alors la Seine inférieure. La recette de l’article est classique et se montre d’une redoutable efficacité. Il s’agit de décrire la magnificence des installations – « aucun faste, aucune exagération dans les aménagements, mais partout un luxe discret et un confort très étudié » – tout en insistant sur les performances du navire :

« L’heure du déjeuner sonnait la trêve. Les 400 invités de la Transat apprenaient alors que le navire filait tout bonnement 30 nœuds (55 kilomètres à l’heure) cap au nord-ouest en direction de l’Angleterre, sur une mer grise, rongée à l’horizon par la brume. »

 

Un salon de première classe du France. Carte postale, collection particulière.

Il n’est pas anodin que l’hebdomadaire Cols Bleus publie de telles lignes. C’est bien en effet de prestige national, de place de la France dans le monde dont il s’agit ici. Et comme souvent, c’est sur le terrain de l’art de vivre et de la gastronomie que l’hexagone décide de se placer. Ainsi, le magazine explique à ses lecteurs que le France peut-être comparé à un hôtel de 1 000 chambres et un restaurant de 3 000 couverts mais précise bien qu’il n’existe « aucun équivalent terrestre dans le monde entier » de cet établissement flottant. Bref, un symbole de la France sur les mers dont on sait qu’il ne survivra pas aux assauts conjugués du choc pétrolier et de la navigation… aérienne. Cela sera alors à Concorde de prendre le relais du France.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « France a épousé la mer… », Cols Bleus, n°730, 18e année, 20 janvier 1962, p. 6-7.