En pleine tempête. Un passage du Cap Horn en 1910

Le Cap Horn est considéré par tous les marins comme une zone délicate pour ne pas dire dangereuse. Pourtant, avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, il est un point de passage presque obligatoire pour les navires de commerce qui souhaitent relier l’Europe à la côte Ouest de l’Amérique. En 1910, le Maréchal de Castries a d’ailleurs bien failli y terminer son voyage. Son histoire permet de mieux comprendre les conditions de navigation auxquelles sont confrontés les marins au début du 20e siècle.

Le fameux rocher du cap Horn. Wikicommons.

Le Maréchal de Castries est un trois-mâts carré de 70 mètres de long, construit aux Chantiers Dubigeon à Nantes. Moins de dix ans après son lancement, en 1901, le bâtiment est commandé par le capitaine au long cours Joseph Coturel, un Morbihannais originaire de l’Île-d’Arz1. En mai 1910, il se voit confier une cargaison de pins à transporter depuis Portland aux États-Unis, en Oregon, jusqu’à Londres, trajet imposant donc le passage par Cap Horn. Pour ne pas voyager à vide, l’armateur décide de lester le navire avec près de 300 tonnes de sable ainsi que 1 000 tonnes de gueuse (lingots de fonte de première fusion). L’objectif est double, il faut stabiliser le navire tout en transportant une cargaison qui sera revendue sur place et ainsi rentabiliser le trajet.

C’est de Dublin que le Maréchal de Castries entame sa traversée. Si le trajet le long des côtes africaines et brésiliennes se déroule parfaitement, l’approche du Cap Horn vient rompre la quiétude des marins. Et pour cause! Ces derniers sont pris dans une violente tempête qui emporte une partie de leur canots de sauvetage. Plus préoccupant encore, les gueuses glissent sous l’effet des lames qui s’abattent sur le bateau, le déséquilibrant dangereusement. La panique gagne l’équipage. Mais, plutôt que de tenter une sortie suicidaire à bord des derniers canaux de sauvetage, le capitaine parvient à convaincre l’équipage de déplacer le chargement dans la cale. Après cinq jours d’efforts, les marins rencontrent un navire norvégien qui accepte de remorquer le bateau blessé.

Les dégâts sont trop importants pour reprendre la mer. Joseph Coturel décide alors d’informer l’armateur de leur déconvenue afin qu’il lui permette de procéder à des réparations. Non sans mal, le capitaine doit se rendre à Port-Stanley où il prend un paquebot pour rejoindre Punta Arenas. De la ville chilienne il peut enfin communiquer avec l’Europe par télégraphe. Entre l’attente de la réponse et le temps des trajets aller-retour, il lui faut plus d’une semaine pour enfin rejoindre son équipage.

Le Maréchal de Castries déséquilibré par le glissement de sa charge de gueuse, cliché pris par le capitaine Coturel. Collection particulière.

Ce n’est qu’à la fin du mois de novembre que le Maréchal de Castries peut reprendre la mer. Cette fois, plus question de prendre de risques. Le capitaine met cap sur l’Australie. La cargaison arrive enfin à Portland au mois de mai 1911, un an après avoir quitté Dublin. Quatre mois plus tard, il arrive à Londres où une nouvelle mission attend Joseph Coturel. Ce dernier repart en Argentine avec du ciment, puis rejoint le Chili afin de convoyer en Australie du charbon et revient enfin à Anvers avec une cargaison de nitrate de potassium. Nous sommes alors en août 1913, 40 mois après le départ de Dublin.

Ces différentes traversées effectuées par le Maréchal de Castries sont particulièrement révélatrices des conditions de navigation rencontrées par la marine de commerce au début du 20e siècle. Mais elles témoignent également de la difficulté d’être un marin au long cours, que ce soit lors des avaries ou, au quotidien, loin de sa famille.

Yves-Marie EVANNO

 

1 BULOT, Jean, L’île d’Arz. L’île des capitaines, Le Faouët,  Liv’éditions, 2011, p. 106-109.