Le drame du Saint-Philibert

Les parages de la presqu’île de Noirmoutier ne paraissent a priori pas compter parmi les plus délicats qui s’offrent aux marins. Protégées par cette frêle bande de terre, les eaux de l’embouchure de la Loire sont en effet bien abritées. C’est d’ailleurs bien cette ambiance grise que décrit le journaliste du Courrier de Saint-Nazaire & de la région1 chargé de revenir sur la catastrophe du Saint-Philibert :

« Gris, le ciel uniforme et lourd. Grise la mer basse et immobile que sillonnent lentement d’innombrables pêcheurs de boucauts. Grises les rives qui s’estompent dans les voiles flous d’une brume légère. Grise la Loire qui étire son bras nonchalant. »

Carte postale. Collection particulière.

Le Saint-Philibert est un petit navire à vapeur d’une trentaine de mètres sorti en 1923 des célèbres chantiers Dubigeon de Nantes. Parti le 14 juin 1931 en direction de Noirmoutier du chef-lieu du département de ce qui est alors la Loire-Inférieure, il transporte près de 500 personnes : des hommes et des femmes dûment enregistrés – au nombre de 467 – mais également des enfants, à qui l’on n’octroie pas de tickets. Tous goûtent à une agréable journée d’excursion après une semaine de dur labeur. Ce sont d’ailleurs pour la plupart des ouvriers nantais.

Si le voyage aller se passe sans aucun problème, laissant chacun.e s’adonner aux joies du tourisme pour quelques heures sur la presqu’île, il n’en est pas de même du retour. Voyant le temps se dégrader et la mer forcir, près de 80 de ces vacanciers d’un jour préfèrent rebrousser chemin et rester à Noirmoutier. Pour celles et ceux qui décident de faire la traversée, c’est en effet un voyage éprouvant qui s’annonce : conçu pour naviguer sur la Loire, le Saint-Philibert ne dispose que d’un tirant d’eau de 2,20 mètres2 ce qui le rend particulièrement instable par forte houle. De plus, les cabines ne peuvent contenir les quelques 400 personnes qui embarquent et un grand nombre de voyageurs est contraint de rester sur le pont.

Fouettés par les embruns, tous cherchent à se protéger et se placent spontanément sous le vent du bateau, pour s’abriter. Ce faisant, ils déséquilibrent dangereusement le Saint-Philibert qui accuse une sévère gite. Et lorsqu’il double la pointe Saint-Gildas, près de Pornic, loin de se trouver protégé par les premiers prémices de l’estuaire de la Loire, le navire doit au contraire affronter la renverse de la marée et un très fort courant de jusant générant de puissantes vagues. C’est d’ailleurs l’une d’entre-elles, sans doute un peu plus forte que les autres, qui le fait chavirer, projetant instantanément un grand nombre de ces vacanciers d’un jour à la mer. Dramatique, la scène se passe le 14 juin 1931 à 18h30, sous les yeux impuissants des gardiens du sémaphore de la pointe Saint-Gildas.

Carte postale. Collection particulière.

Bien qu’immédiatement prévenus, les secours ne peuvent arriver sur place avant 20 heures tant la mer est grosse et seuls 8 rescapés peuvent être retirés, en hypothermie, de l’eau. Survolant la zone, des hydravions venus de Lorient ne tardent pas à localiser l’épave à décompter avant que la nuit ne tombe plus de 150 cadavres flottant entre deux eaux. Au total, ce sont plus de 400 Nantais qui perdent la vie en ce sinistre dimanche de juin 1931, par la faute d’un navire qui était probablement trop chargé et n’était manifestement pas conçu pour affronter de telles conditions de mer.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Une catastrophe maritime dans l’estuaire de la Loire », Le Courrier de Saint-Nazaire & de la région, 66e année, n°25, 20 juin 1931, p. 4.

2 BOUTIN, Emile, Les Grands naufrages de l’Estuaire, Nantes, Edition Rives Reines, 2002, p. 157.