Histoire d’un non-engagé

S’il est bien une catégorie de personnes pour qui la défaite française de 1940 est particulièrement douloureuse, c’est celle des marins de la Royale. Et c’est sans doute d’sous cet aspect que les mémoires de l’amiral Paul Marzin1 se révèlent les plus intéressantes : comme le stigmate d’une période floue, éminemment complexe pour les acteurs, amenant certains à faire des choix qu’ils seront amenés à payer chèrement, et à regretter d’autant plus.

Natif de Brest, le jeune Paul Marzin entre à l’Ecole navale en 1912 avant de suivre une carrière brillante, mais au final très classique, et d’être promu capitaine de vaisseau en novembre 1938 puis de recevoir, quelques mois plus tard, en juillet 1939, le commandement du cuirassé Richelieu (p. 34). Ce véritable fleuron de la flotte française n’est pas encore fini lorsque débute la Seconde Guerre mondiale et Paul Marzin raconte bien comment s’effectue au début du mois de juin 1940 les premiers essais en mer, au départ de Brest, alors que les Allemands foncent sur la Bretagne (p. 35).

Le cuirassé Richelieu, après la Seconde Guerre mondiale. Carte postale, collection particulière.

C’est d’ailleurs ce moment qui, rétrospectivement, structure les années ultérieures de la carrière de Paul Marzin. Comme bon nombre de personnes de l’époque, il n’a pas une très bonne compréhension de la nature réelle du nazisme et il est frappant de voir combien la guerre qui est relatée dans ce journal est, au final, désidéologisée. Plongé dans une sorte de guerre de trente ans avec l’Allemagne, Marzin obéit aux ordres et appareille donc le 18 juin 1940 pour Dakar, puisque c’est ce que lui ordonne le commandement des patrouilles de l’Atlantique. Mais il est intéressant de noter que quelques instants auparavant, le patron de Richelieu ne sait s’il doit gagner l’Afrique ou l’Angleterre (p. 37). Une attitude qui assurément trahit une forte culture de l’obéissance mais qui, aussi, montre bien que ces évènements sont très complexes et que faire le bon choix ne va alors aucunement de soi.

Car l’étape suivante de la guerre de Paul Marzin n’est ni plus ni moins que le combat qu’il livre à Dakar contre les Anglais, opération vécue comme une opération menée par Londres en vue de dépouiller Paris de ses colonies (p. 39-82). Or, l’opération Menace étant un échec britannique, Dakar est un succès pour Marzin qui, de facto, se voit proposer de nouvelles affectations qui, mécaniquement, le poussent plus loin dans la marine de l’Etat français2. Promu contre-Amiral en février 1941 (p. 83), il exerce ensuite plusieurs hautes fonctions à Vichy jusqu’à sa mise en congé d’armistice en novembre 1943 (p. 170 et suivantes).

Et c’est sans doute cette partie de l’ouvrage qui pose le plus de problèmes tant on aurait aimé qu’elle soit confrontée à un véritable travail d’historien à partir des sources. A lire ses souvenirs, Marzin parait en effet particulièrement réticent  l’égard de Vichy et plus encore de Pétain. Comme il l’écrit d’ailleurs très joliment, il semble comme un galet roulé par la mer (p. 213), sans aucune possibilité d’initiative, prisonnier d’un serment d’obéissance trahi par une hiérarchie vautrée dans la collaboration. Pour autant, ne faut-il pas voir aussi dans cette présentation des choses une part d’autojustification et de victimisation de la part d’un homme qui, du fait de son passé, est épuré de la Marine en 1945 ?

Un personnage très important de ces mémoires de Paul Marzin: l'amiral Darlan, ici derrière Pétain. Carte postale, collection particulière.

C’est à ce moment que l’on regrette que la présentation de ce journal de Paul Marzin effectuée par sa fille, Marie-Paule Leclerc, ne soit pas parfois plus incisive. Ainsi en ce qui concerne l’anticommunisme comme facteur au moins pour partie explicatif des non-engagements successifs de l’auteur. Il est évident que le milieu socioprofessionnel de Paul-Marzin ne le porte pas spontanément vers le drapeau rouge et, à cet égard, il n’est pas surprenant de lire sous sa plume des lignes particulièrement acerbes à l’endroit des FTPF (p. 197). Pour autant, on aurait aimé savoir si certains souvenirs de carrière ne sont pas si traumatisants qu’ils seraient de nature à l’empêcher de rejoindre le syncrétisme résistant. Et l’on pense particulièrement à cette mission sur le croiseur cuirassé Condé qui l’amène en 1919 à Arkhangelsk, période manifestement douloureuse pour lui puisque Marie-Paule Leclerc explique que « les exactions commises par les bolcheviks le dégoutèrent à jamais du communisme » (p. 30).

Au final, il y a là un témoignage d’un grand intérêt, évoquant des thématiques souvent peu abordées comme le coup de Dakar ou les négociations à propos de la collaboration militaire entre Vichy et le Reich. Une lecture à recommander qui, assurément, intéressera toutes celles personnes travaillant sur ces questions.

Erwan LE GALL

MARZIN, Paul (Amiral), Journal. Obéir ? Mers-El-Kébir… Dakar… Vichy… Toulon…, Janzé, Editions Charles Hérissey, 2013.

 

1 MARZIN, Paul (Amiral), Journal. Obéir ? Mers-El-Kébir… Dakar… Vichy… Toulon…, Janzé, Editions Charles Hérissey, 2013. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Sur cette dernière on renverra à COSTAGLIOLA, Bernard, La Marine de Vichy, Paris, Tallandier, 2009.