Le marquis de l’Estourbeillon, un pionnier du régionalisme breton

Régis-Marie-Joseph de l'Estourbeillon de la Garnache, marquis de son état, naît le 18 février 1858 à Nantes. Il est, au tournant des XIXe et XXe siècles, l’une des figures pionnières du régionalisme breton. Pourtant, il semble être tombé dans un « trou noir » mémoriel, notamment auprès de ceux qui aujourd’hui se réclament de ce courant politique.

Carte postale. Collection particulière.

En 1898, le marquis de l’Estourbeillon fait partie des membres fondateurs de l’Union régionaliste bretonne (URB), aux côtés du linguiste bretonnant François Vallée ou des écrivains François Jaffrennou, Charles Le Goffic et Anatole Le Braz. Ce dernier en est d’ailleurs le premier président. Le régionalisme revendiqué par l’URB est hérité du celtisme et du  « bretonisme » du XIXe siècle, incarné par des personnalités comme le vicomte de La Villemarqué – auteur du Barzaz Breiz – ou de l’historien Arthur de La Borderie. Tous trois partagent une philosophie politique conservatrice, nobiliaire et cléricale, qui pense « la Bretagne comme ensemble distinct, par ses origines et ses caractéristiques, du reste de la France. »1

Le marquis prend la présidence de l’URB en 1902 et la garde jusqu’à sa mort, survenue en 1946 en son château du Penhoët à Avessac (44). Tout au long de la Troisième république, il œuvre inlassablement pour la défense d’une culture bretonne « ancestrale », qu’il souhaite vivante, notamment par l’enseignement de la langue bretonne. Il milite aussi pour le rapprochement des Bretons avec les autres peuples celtiques. C’est ainsi que le Bro gozh ma zadoù, chant adapté de l’hymne gallois, est entonné pour la première fois lors du congrès de l’URB à Guingamp en 1900 ; avant de devenir le « chant national » breton lors du congrès de Lesneven en 1903. Il réalise également un lobbying appuyé pour la reconstitution territoriale de la province historique de Bretagne. Son principal ennemi est alors, à l’entendre, la franc-maçonnerie qui « lutte avec acharnement pour le refus et l’échec de toutes nos légitimes revendications ».  En 1940, il s’empresse de présenter ses revendications au maréchal Pétain. En effet, il voit alors dans le régime de Vichy la mise en place d’un régime conservateur, promoteur des vieilles provinces françaises. Toutefois, le projet d’une province bretonne regroupant les cinq départements ne devient pas réalité.

Le marquis de l’Estourbeillon, fervent monarchiste et catholique, ne prêche pas pour autant pour la séparation de la Bretagne avec la France, mais plutôt pour une alliance « de l’hermine ducale et du lys royal ». Elu député du Morbihan sans interruption entre 1898 et 1919, il siège tout d’abord dans le groupe « antisémite » présidé par Edouard Drumont, le fondateur du journal antidreyfusard La Libre parole.2 Puis, en 1902, il se rapproche du groupe Action libérale, incarné notamment par Albert de Mun, qui regroupe les monarchistes ralliés à la République. Lorsque la Grande Guerre éclate, le marquis n’hésite pas à s’engager volontairement dans l’armée, alors qu’il est pourtant âgé de 56 ans. Devenu capitaine d’infanterie territorial au service des chemins de fer et des étapes, il est décoré de la Légion d’honneur en avril 1918.

Carte postale. Collection particulière.

Dans l’entre-deux-guerres, un décalage générationnel se fait sentir avec la mise en place d’une deuxième Emsav dans le mouvement breton. Portée par un discours victimaire d’une Bretagne sacrifiée lors de la Première Guerre mondiale, cette nouvelle génération porte un discours nettement plus nationaliste et radical. Elle s’incarne notamment dans les pages du journal Breiz Atao, avec des personnalités comme Morvan Marchal et Olivier Mordrelle.  Le marquis de l’Estourbeillon apparait alors de plus en plus comme sorti d’un autre âge, prélude à la relégation mémorielle dont il est aujourd’hui l’objet.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 GUIOMAR Jean-Yves. « Le bretonisme, une expression de la droite française », in L’Ouest et le politique : Mélanges offerts à Michel Denis, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1997, p. 129.

2 JOLY Laurent, « Antisémites et antisémitisme à la Chambre des députés sous la IIIe République. », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 3/2007 (n° 54-3), p. 73.