L’arrivée du tramway dans les campagnes bretonnes à travers l’exemple de Sainte-Anne-d’Auray

Dans l’imaginaire collectif, le tramway est un petit train urbain bien plus ponctuel que le bus. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, son utilisation est loin d’être uniquement intra-muros et un certain nombre de projets se développent hors des villes, essentiellement pour acheminer des touristes depuis une gare vers une cité balnéaire. Qu’ils soient à traction animale ou à vapeur, les tramways s’avèrent en effet particulièrement efficaces pour enrichir un réseau de chemin de fer déjà bien développé en Bretagne. Mais son installation dans les campagnes bretonnes n’est pas sans poser problème. Si l’innovation suscite des inquiétudes, elle met également en évidence des contraintes techniques puisqu’à la différence des lignes de chemins de fer, celles des tramways occupent une partie de l’accotement. Il faut donc parvenir à faire cohabiter les voitures hippomobiles, les piétons et les petits trains. Tous ces problèmes sont soulevés lors de l’étude d’un projet de tramway à Sainte-Anne-d’Auray1.

Carte postale. Collection particulière.

Chaque mois de juillet, la gare Sainte-Anne, à Pluneret, accueille près de 100 000 fidèles qui se rendent à la basilique afin d’assister au célèbre pèlerinage. En 1895, deux entrepreneurs proposent de réaliser une ligne de tramway à vapeur qui permettrait de faciliter l’acheminement des pèlerins jusqu’au lieu de culte, situé à 3 kilomètres de la gare2. De surcroît, les deux hommes assurent que la mise en activité du petit train sécuriserait les piétons face aux flots de voitures qui assurent la navette entre la gare et la basilique.

Les élus sont rapidement sollicités pour donner leur avis sur le projet3. De manière générale, ce dernier convainc puisqu’il incarne le progrès. Ainsi, le député conservateur Paul de Lanjuinais estime que la mise en service d’un tramway à Sainte-Anne-d’Auray pourrait encourager d’autres communes à faire de même et, par cette même occasion, permettrait d’ouvrir et de développer les campagnes du département.

Mais cette intrusion soudaine de la modernité ne satisfait pas tout le monde. C’est le cas du conseiller général Joseph Talvas qui présage l’impossibilité de faire cohabiter le petit train avec les piétons et les animaux, contrairement à ce que prétendent les deux entrepreneurs. Cette crainte est également exprimée par le conseil municipal de Pluneret qui refuse que « tout tramway ou chemin de fer » puisse emprunter l’accotement de la route. Le maire confie à ses homologues des communes environnantes : « Le tramway serait un danger permanent pour les milliers de pèlerins qui se rendent à Sainte-Anne par la route venant d’Auray et pour les nombreux cultivateurs allant aux marchés et foires d’Auray, aussi bien pour ceux qui vont à pied que pour ceux qui vont en voiture ; mais le danger serait peut-être plus grand pour ceux-ci, à cause des chevaux de campagne qui ne peuvent s’habituer aux voitures à vapeur. »4 Les maires reconnaissent le bien-fondé des craintes exprimées à Pluneret. Celui de Locqueltas précise même qu’aux bruits du tramway s’ajouteraient ceux des fidèles qui « poussent des cris et chantent des cantiques » tout au long du trajet, ce qui augmenterait le risque d’accidents.

Carte postale. Collection particulière.

Face aux contraintes techniques et, surtout, à l’hostilité de la population, le projet est finalement abandonné. Définitivement ? Non. En 1902, un nouveau projet voit le jour. Il est désormais porté par la municipalité alréenne et doit permettre de relier la gare d’Auray à la basilique5. Mais, une nouvelle fois, les travaux n’aboutissent pas, confrontés à cette ambivalence permanente : entre l’espoir de la nouveauté et la crainte du changement.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 Il convient toutefois de préciser que le projet est en réalité envisagé à Pluneret, Sainte-Anne-d’Auray n’étant pas encore une commune.

2 Sur ce projet, voir ROME, Yannic, Grandes et petites histoires des tramways et des petits trains en Morbihan, Le Faouët, Liv’Editions, 2005 ? P. 26-29.

3 Rapports du Préfet et délibérations du Conseil général du Morbihan, 24 août 1895, p. 176-178.   

4 Archives départementales du Morbihan, 3 ES 192/7, lettre du maire de Pluneret au maire de Remungol, 6 décembre 1895.

5 Rapports du Préfet et délibérations du Conseil général du Morbihan, 22 août 1902, p. 171.