Les Sept dormants d’Ephèse » dans la chapelle du Vieux-Marché

La sensibilité catholique en Bretagne tient la figure du saint à une place importante, en tant qu’intercesseur entre le croyant et Dieu. Ces saints peuvent être autochtones – Saint Yves de Tréguier –, ou bien venus d’ailleurs – Sainte Anne, la mère de la Vierge par exemple. Leur culte témoigne d’une pratique populaire de la foi, qui prend souvent la forme d’un pardon. La chapelle « des Sept saints » du Vieux-Marché, dans les Côtes d’Armor, semble à ce propos renfermer l’un des plus originaux cultes de saints en Bretagne.

La chapelle « des Sept saints » du Vieux-Marché, dans les Côtes d'Armor. Carte postale (détail). Collection particulière.

Dans un numéro datant de 1878 de la revue littéraire Mélusine, le folkloriste breton François-Marie Luzel nous dit que cette chapelle est située à « environ quatre kilomètres au Nord-Est de Plouaret ». Pour lui, le caractère pittoresque de la chapelle ne tient pas dans son architecture, qu’il qualifie de « maçonnerie vulgaire », mais dans le fait que le transept sud est bâti sur un « antique dolmen, qui forme crypte et oratoire populaire sous la chapelle même. » Rappelons que ces lignes sont écrites dans un contexte où le romantisme et le celtisme influencent les intellectuels bretons. Ceux-ci sont alors à la recherche de liens entre une religion celte des origines et la religion catholique encore très prégnante dans la région. D’ailleurs, Luzel voit dans le christianisme breton « une consécration de la tradition payenne (sic). » Plus intéressant pour nous, il précise que la chapelle est placée sous le vocable de « Sept Saints ». Il écarte d’emblée une référence aux sept saints fondateurs des évêchés bretons, puisque sur le retable de l’autel on trouve une série de sept statues en bois – en plus de la Vierge Marie – qui portent les noms suivants : « Constantin, Sérafein (sic), Jean, Denis, Martineau, Marc et Maximilien. » En prenant appui sur une gwerz locale, le folkloriste rapproche ces noms de ceux des Sept dormants d’Ephèse.

Cette dernière hypothèse est donc loin d’ancrer la chapelle dans un culte de saints locaux, puisque selon une tradition chrétienne, rapportée notamment au VIe siècle par Grégoire de Tours, la légende des Sept dormants d’Ephèse se déroule au milieu du IIIe siècle en Asie mineure. Sous le règne de l’empereur romain Dèce, le culte civique rendu à sa personne devient obligatoire. Les chrétiens sont alors vus comme une menace. Selon la légende, sept officiers originaires d’Ephèse refusent d’abjurer leur foi pour satisfaire au culte impérial. Dans leur fuite, ils se réfugient dans une caverne du mont Célion. Pendant leur sommeil, l’empereur les fait emmurer vivants. Plus d’un siècle plus tard, sous le règne de Théodose II, la grotte est réouverte et on y trouve les sept hommes réveillés et en pleine forme. Cette histoire témoignerait alors de la résurrection de la chair. Mais là où cette légende chrétienne devient intéressante, c’est qu’elle est racontée de façon très semblable dans la sourate 18 du Coran, dite de la Caverne. Le livre sacré de l’islam date quant à lui du VIIe siècle.

Carte postale, collection particulière.

Pour en revenir à l’époque contemporaine et aux formes originales d’expression populaire de la foi en Bretagne, il faut s’intéresser à l’initiative de Louis Massignon (1883-1962). Cet universitaire spécialiste de l’islam – il a soutenu une thèse sur la vie du soufi Mansur al-Hallaj, crucifié à Bagdad en 922 –, par ailleurs grand ami du moine Charles de Foucauld et ordonné prêtre au Caire en 1952, œuvre pour le dialogue interreligieux entre les Chrétiens et les Musulmans. Quand il prend connaissance de l’existence de la chapelle des « Sept saints » au Vieux-Marché, il décide d’y créer en 1954 un pèlerinage annuel commun aux deux religions. En ces temps troublés, un pardon islamo-chrétien dans une petite chapelle nichée au cœur de la campagne bretonne, ça c’est original !

Thomas PERRONO