Le maïs : de la plante bienfaitrice pour l’agriculture bretonne à la malédiction environnementale

La découverte du continent sud-américain par les Européens à l’époque moderne a profondément bouleversé les habitudes alimentaires du Vieux continent. Ainsi les pommes de terre, les fraises, ou les tomates figurent aujourd’hui parmi la base de notre alimentation. Mais une autre plante – le maïs – originaire du Mexique a connu quant à elle des fortunes diverses. Si en ce début de XXIe siècle, elle est accusée de tous les maux environnementaux, il ne faut pas oublier qu’aux débuts de sa culture en Bretagne, dans les années 1960, elle est largement auréolée du statut de plante bienfaitrice permettant l’intensification de l’élevage, pierre angulaire de la modernisation agricole bretonne alors en cours.

A Paimpont, la coupe du maïs. Musée de Bretagne: 997.0073.9.

A ce propos, un reportage télévisé de Bretagne actualités1 nous plonge au cœur du bouleversement agronomique que connaît la région dans des années 1960. Longtemps espace de polyculture, la Bretagne opère au cours de cette décennie une « révolution agricole » orientée vers l’élevage intensif. Cette spécialisation des exploitations entraîne l’apparition de nouveaux besoins pour l’alimentation animale. Les ressources propres des fermes ne peuvent y répondre. C’est pourquoi les agriculteurs bretons importent, dans un premier temps, « de 4 à 5 millions de quintaux de maïs » en provenance des Etats-Unis principalement. Mais cette solution est très couteuse pour les producteurs, notamment à cause des frais de transport « de l’ordre de 4 à 5 francs par quintal ».

Alors, pour faire baisser le prix de revient, les agriculteurs bretons décident de cultiver par eux-mêmes le maïs dont ils ont besoin pour leurs élevages (porcins, bovins et/ou avicoles). Et à les écouter, la culture de cette plante n’a que des avantages : « les rendements obtenus sont relativement élevés […] 70-80 quintaux à l’hectare », « c'est une culture […] qui est relativement facile », « [qui ne] demande pas tellement de main-d’œuvre ». La culture du maïs présentée dans le reportage est celle du maïs grain. Il est récolté sous forme d’épis qui sont séchés, puis égrenés, avant « de subir une transformation [pour devenir] l'aliment du bétail ». Un mode de culture bien vite supplanté par le maïs fourrager qui voit l’ensilage de l’ensemble de la plante (grains, tige).

La spécialisation toujours plus poussée des exploitations bretonnes autour de l’élevage entraîne mécaniquement une spécialisation des terres cultivées vers l’alimentation animale. Dans le reportage, un agriculteur explique que sur les 20 hectares de sa ferme : « il y a 4 ans [en 1962], nous avions 10 ha [de maïs], on est monté à 12 ha et maintenant nous voilà rendu à 15 ha ». Cette spécialisation de plus en plus accrue des terres cultivables est rendue possible par le développement concomitant de l’élevage hors-sol. En outre, la culture du maïs permet aux agriculteurs « d’écouler » fumiers et lisiers produits par leurs élevages par le biais de l’épandage.

Dans les Côtes d'Armor, farine de maïs pour la consommation animale. Collection particulière.

C'est là que débute la légende noire du maïs. Avec l’émergence de la question environnementale en Bretagne dans les années 1970-1980, l’image bienfaitrice de la culture du maïs s’effrite rapidement. En cause principalement : la pollution des eaux. Dans les années 1980, alors que la Bretagne produit environ le quart des animaux d’élevage en France, la télévision régionale pointe régulièrement du doigt la pollution de l’eau par les nitrates, dont la

« première cause [sont les] engrais fortement azotés. Les agriculteurs bretons utilisent plus d'engrais que la moyenne française. »2

L’une des conséquences visibles et spectaculaires de cette pollution, c’est l’apparition des « marées vertes ». Une pollution des eaux également causée par l’utilisation de pesticides :

« en 89, 4 000 tonnes de pesticides ont été répandues sur les cultures de maïs. Sur 430 000 hectares, soit le quart de la surface cultivée. »3

« La triazine surtout utilisée pour le désherbage du maïs » entraîne une pollution des eaux de rivière, comme le révèle une étude menée en 1990 « sur cinq cours d'eau bretons : l'Aven, l'Arguenon, l'Oust, la Seiche et La Vilaine ». De nos jours, parce que les problèmes environnementaux peinent à disparaître et ce malgré une amélioration des pratiques agricoles, le maïs continue d'avoir l’image d’une malédiction alors que sa culture demeure importante dans la région : plus de 4 millions de tonnes de maïs fourrager en 2014, soit 37% de la production française totale.

Thomas PERRONO

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « La culture du maïs », Bretagne actualités, ORTF, 19/10/1966, en ligne.

2 INA – L’Ouest en mémoire. « La pollution de l'eau par les nitrates », Bretagne hebdo, France 3 Bretagne, 25/06/1988, en ligne.

3 INA – L’Ouest en mémoire. « L’utilisation des pesticides en Bretagne », Rennes soir, France 3 Bretagne, 21/11/1990, en ligne.