La parenthèse Germaine Marquer

Nul ne s’étonne aujourd’hui de voir une femme accéder aux plus hautes fonctions, notamment politiques . Il est vrai qu’à la suite des élections municipales de 2008, 35% des conseillers élus sont des femmes, proportion qui chute néanmoins à 14% pour les maires. On pourra toujours arguer que la parité n’est pas encore atteinte, il n’en demeure pas moins qu’à la suite de ce même scrutin, 6 des 38 communes de plus de 100 000 habitants sont dirigées par des femmes. Quel contraste avec l’immédiat après-guerre ! C’est le 21 avril 1944 qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République Française accorde le droit de vote aux femmes. Mais le scrutin est encore loin puisqu’avant de pouvoir rentrer dans l’isoloir, il faut libérer le pays et restaurer la République ! Cela ne se fait d’ailleurs pas sans mal comme en témoignent les dizaines de victimes de la répression sauvage des toutes dernières heures de l’occupation et les milliers de morts des bombardements. A Bruz, petite commune d’Ille-et-Vilaine située au sud-ouest de Rennes, la situation est particulièrement dramatique : le bourg est rasé par un bombardement d’une folle intensité causant la mort de plus de 180 personnes dont le maire, François Joly.

L'église de Bruz après le bombardement. Arch. Mun. Bruz.

Est-ce de ce drame synonyme de redistribution des cartes du jeu politique que découle l’élection de Germaine Marquer aux municipales d’avril 1945 ? Il est bien difficile de le dire mais deux éléments retiennent toutefois l’attention dans ce contexte si particulier. Le premier est que Germaine Marquer est elle-même une sinistrée du bombardement, dont elle réchappe quasi miraculeusement avec sa fille et son mari. Tous trois occupent en effet le château des Petites Planches sis juste derrière l’église du village, quasiment sur l’épicentre du bombardement ! Le second est que Germaine est la fille de Léonce Bousquet, maire de la commune de 1886 à 1919, et la petite-fille d’Hyppolite Bousquet, premier magistrat de 1881 à 1886.

En élisant Germaine Marquer, sans doute les Bruzois ont-ils choisi quelqu’un partageant leur détresse matérielle et morale tout en faisant confiance à une personne dont les racines familiales témoignent d’une certaine prédisposition à la gouvernance communale. En tout état de cause, il s’agit bien-là d’une élection exceptionnelle puisqu’à la suite du scrutin d’avril 1945, seul 3% de femmes sont investies par les suffrages !

Outre l’accueil des prisonniers de guerre et requis du travail forcé de retour d’Allemagne, la gestion des suites du bombardement accapare le mandat de Germaine Marquer puisque c’est avec elle que débute la reconstruction. Celle-ci est d'autant plus délicate qu'elle s'effectue dans un climat aussi sensible que durable de pénurie. C’est alors l’époque des baraquements d’urgence, petites guitounes de planches en bois que certains Bruzois utilisent encore de nos jours comme… abris de jardin !

Carte postale. Collection particulière.

Mais, si l’élection de Germaine Marquer est un beau symbole pour la cause des femmes, celle-ci ne doit pas être surestimée. En effet, c’est bien d’une parenthèse qu’il s’agit, plus que d’une rupture. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui encore, jamais les Bruzois ne rééliront une femme. Et Germaine Marquer elle-même abandonne bien vite son siège de premier magistrat, ne se représentant pas aux élections de 1947 pour se consacrer à la santé chancelante de son mari.

Erwan LE GALL