La construction controversée de la marina de Port-la-Forêt

Qu’ont en commun Michel Desjoyeaux, Vincent Riou, François Gabart et Armel Le Cléac’h ? Au-delà d’être les vainqueurs de cinq éditions du mythique Vendée Globe, la célèbre course autour du monde en solitaire et sans escale, ces quatre skippers ont tous le même port d’attache : Port-la-Forêt, dans le sud Finistère. Si, aujourd’hui, la marina de La Forêt-Fouesnant est devenu la Mecque de la course au large et a gagné le surnom de « vallée des fous », sa construction s’est déroulée dans un climat digne des cinquantièmes hurlants…

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le petit port de la Forêt-Fouesnant. Carte postale. Collection particulière.

A l’origine de Port-la-Forêt, il y a une grève, protégée par la pointe de Cap Coz, sur la commune de la Forêt-Fouesnant. Dès la fin des années 1950, Henri Desjoyeaux, l’un des fondateurs de l’école de voile des Glénans, s’installe sur ce site pour y faire du gardiennage de bateau. L’activité prend peu à peu de l’ampleur en proposant de l’entretien et de la réparation. Au milieu des années 1960, Desjoyeaux, en compagnie du maire de la Forêt-Fouesnant, porte à cet endroit le projet de construction d’un port de plaisance pour environ 800 bateaux de plaisance. Si au début l’idée est plutôt bien accueillie par la population locale, l’adjonction d’une marina pouvant accueillir 20 000 habitants « met le feu au poudre »1, comme le souligne l’un des journalistes de l’émission La France défigurée du 20 février 1972. Un an plus tard, le discours est toujours aussi violent :

« le scandale des scandales est en train de naître en Bretagne, dans la baie de Concarneau. A la Forêt-Fouesnant, une petite commune de 1800 habitants, où la mer épouse le rivage dans une succession de petites baies, on va construire une marina pour 20 000 personnes. »2

Les journalistes de ce magazine diffusé sur l’ORTF, Louis Bériot et Michel Péricard, s’attaquent à ces marinas construites sur des « terrains conquis sur la mer [et qui ne] coûtent pas cher » aux promoteurs immobiliers. Pourtant, l’émission ne s’attarde nullement sur les fortunes colossales qui peuvent être amassées dans de tels programmes. Elle se concentre uniquement sur les atteintes à l’environnement et au patrimoine, évoquées avec poésie : « C’est ce charme typiquement breton, ce cadre unique où la mer épouse le rivage avec tendresse que l’on veut pourtant détruire. »

Une grande partie de la population s’oppose à la construction d’immeubles au milieu de l’anse. Protection de la nature, du paysage, de la pêche traditionnelle, du cadre de vie sont leurs principaux arguments. Seuls quelques-uns se réjouissent au contraire du développement du tourisme qui devrait découler du projet. Les architectes tentent pourtant « d'intégrer le plus possible cet ensemble avec le paysage » : « abaissement du niveau des immeubles, suppression d'une tour, toit en ardoise. » Mais, si le port ouvre au printemps 1973, l’opposition a été si forte que la construction des logements sur la marina est annulée.

La marina de Port-la-Forêt dans les années 1970. Carte postale. Collection particulière.

Au final, la dénonciation de la construction d’une marina à Port-la-Forêt, à travers l’émission La France défigurée, s’inscrit pleinement dans le contexte des années 1970 en France. Depuis la Reconstruction, le discours dominant est celui qui proclame que

« ce n'est pas une solution de dire : "Allez faire ça ailleurs". De toute façon, il faut le faire quelque part. »

Ici, l’émergence progressive d’une écologie politique ainsi que la prise de conscience par les habitants des littoraux de la fragilité de leur environnement remettent en cause la bétonisation du littoral. Mais cela n’est pas le cas partout. Au bout de la presqu’île de Rhuys, dans le Morbihan, le port du Crouesty, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas vraiment une réussite architecturale, est lui inauguré à la même période. Il faut d’ailleurs attendre  1986 pour que soit votée une loi encadrant l’aménagement des côtes françaises et protègeant le littoral de la spéculation immobilière.

Thomas PERRONO

 

1 INA. « Halte aux programmes immobiliers les pieds dans l'eau », La France défigurée, ORTF, 20 février 1972, en ligne.

2 INA-L’Ouest en mémoire. « Une marina à La Forêt-Fouesnant », La France défigurée, ORTF, 8 juillet 1973, en ligne.