Actualités de l'histoire

Des découvertes et des manières d’en rendre compte. Tel pourrait être le titre de ce billet tant ce sont ces deux thématiques qui, au final, semblent le mieux caractériser, cette semaine, l’actualité de notre discipline favorite.

Prisonniers alliés pendant la Première Guerre mondiale. Européana 14/18: FRAD018_003.

Et la première découverte, ou plus précisément redécouverte puisque l’information dévoilée par Le Télégramme était déjà partiellement connue, concerne les enregistrements effectués pendant la Première Guerre mondiale sur des prisonniers de guerre bretons. Conflit atroce et tuerie interminable, la période 14-18 est aussi, de manière paradoxale, un intense moment de brassages entres populations, époque où de multiples contacts s’opèrent entre des populations qui n’avaient auparavant qu’exceptionnellement l’opportunité de se rencontrer. Que l’on songe par exemple aux travailleurs vietnamiens venus en France, aux tirailleurs polynésiens ou encore aux Indiens venus combattre sur le front ouest avec le Corps expéditionnaire britannique. Or c’est précisément ce constat qui pousse un jeune linguiste allemand, Wilhelm Doegen, à profiter de ce qu’il perçoit comme une opportunité pour réaliser de nombreuses captations sonores parmi les prisonniers de guerre détenus en Allemagne. Au total, ce sont plus de 3 000 entretiens oraux, si l’on peut se permettre cet anachronisme, qui sont ainsi conservés au Centre Hermann von Helmholtz de technologie culturelle de l’Université Humboldt à Berlin. Parmi toutes ces bandes, une vingtaine concernent des poilus bretons et seront mises à disposition du plus grand public par l’Association Dastum.

On ne peut d’ailleurs qu’être frappé de voir combien ces archives procèdent d’une logique diamétralement différente de celles que Pierre Klein, auteur avec sa femme d’un imposant dictionnaire des déportés des Côtes-du-Nord1, vient de déposer aux Archives départementales des Côtes d’Armor, à Saint-Brieuc. Ce sont en effet 27 témoignages de rescapés des camps de la mort nazis qu’il vient de confier, dans un but de valorisation pédagogique, au service dirigé par Anne Lejeune. Or, là où les témoignages de prisonniers de guerre bretons résultent d’une situation comprise par un intellectuel comme une occasion de faire progresser la connaissance, ceux de ces déportés ont pour but d’attester du drame qu’ils ont vécu face, notamment, aux multiples destructions de preuves opérées par les bourreaux. C’est là bien évidemment une singularité importante qui, en cette semaine de 70e anniversaire de la Libération d’Auschwitz, se doit d’être rappelée. Et on profitera d’ailleurs de l’occasion pour redire tout le bien que l’on a pensé de l’excellente réédition de l’Album Auschwitz menée par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et Canopée, ouvrage dont nous avons parlé il y a peu sur ce site.

L'entrée d'Auschwitz I. Wikicommons.

Si les archives sont assurément une condition sine qua non de l’opération historique, elles ont aussi, et notamment lorsqu’elles se rapportent à la Seconde Guerre mondiale, une valeur supplémentaire, citoyenne, humaniste, en ce qu’elles ne peuvent être détachées du message que délivre l’enseignement de ce conflit. Nous avons déjà eu l’occasion ici de nous féliciter du succès rencontré par La Grande Collecte des archives privées de la Première Guerre mondiale. Un succès d’autant plus intéressant qu’il renoue la boucle entre le grand public détenteur de multiples trésors et le monde de la recherche qui, précisément, les exploite. Aussi nous ne pouvons qu’applaudir l’initiative lancée par les Archives municipales de Lorient qui viennent de lancer une semblable opération, mais relative aux archives privées de la Seconde Guerre mondiale. Encore une fois, en cette période de commémoration du 70e anniversaire d’Auschwitz, il est essentiel de contribuer aux conditions futures de l’écriture de l’histoire en s’attachant à conserver les archives.

Mais, une fois ceci exposé, il importe aussi de redistribuer ces connaissances en les rendant le plus aisément disponibles pour le public. Pour ce faire, il est bien entendu possible de publier et c’est notamment ce à quoi s’attache l’association Mémoires de Châteaulin qui vient de sortir un nouveau numéro de Châteaulin 14-18. Au menu ? L’interdiction de circulation des vélocipèdes sur le chemin de halage, les demandes du maire pour accueillir des troupes sur sa commune ou, encore, l’évasion d’Idunet Nédélec, prisonnier châteaulinois.

Le drapeau du 62e RI de Lorient. Photographie de Victor Girard.

Internet est également un support privilégié et on peut, à cet égard, mentionner le remarquable site de l’Institut de France qui permet de découvrir quelques éléments provenant de ses riches collections. Mais les réseaux sociaux s’affirment aussi comme un outil redoutablement efficace. On se rappelle du véritable succès rencontré par Léon Vivien, le poilu Facebook du Musée de la Grande Guerre de Meaux. Si le modèle a été depuis copié par de nombreuses autres institutions, à l’instar par exemple du Mémorial de Caen, on se doit de signaler le compte twitter faisant revivre Victor Girard, photographe nantais du début du siècle que l’on a pu notamment découvrir sous la plume d’Alain Croix dans Place publique, à l’occasion d’un remarquable dossier sur le centenaire de la Grande Guerre. S’il y aurait sans doute beaucoup à écrire sur cette manière de dire l’histoire en 140 caractères, il n’en demeure pas moins qu’il y a là un moyen agréable et ludique de découvrir, gratuitement, des clichés d’une qualité exceptionnelle.

Erwan LE GALL

 

1 KLEIN, Marie-Pierre et Pierre, Les Déportés des Côtes-du-Nord, avril 1914 / septembre 1944, Livre mémorial, Lanvallay, AFMD 22, 2007.