Visages bretons de la résistance européenne

À l’été 1944, alors que l’armée allemande encaisse péniblement les coups de butoir de l’armée soviétique dans le cadre de l’opération Bagration, un soulèvement national survient en Slovaquie, alors État allié du Reich. Celui-ci est mené en réaction à la vassalisation progressive d’une Slovaquie gouvernée par le cardinal Tiso, vassalisation qui se traduisait par l'occupation par les Allemands du territoire. Des communistes slovaques, des anciens cadres de l’armée tchécoslovaque et des résistants slovaques espèrent créer une poche de résistance dans le centre du pays, autour de Banská Bystrica, foyer qui doit tenir jusqu’à l’arrivée de l’Armée Rouge. Ainsi, entre le 29 août et le 28 octobre 1944, près de 60 000 hommes, dont quelques Bretons, tiennent tête aux forces du Reich ainsi qu’aux troupes de la République slovaque alliée de l’Allemagne nazie.

Combattants français engagés avec les partisans slovaques. Sans lieu ni date. Ambassade de France à Bratislava.

Parmi ces hommes, on compte 200 Français qui vont combattre aux côtés des partisans slovaques, jusqu’à l’écrasement de l’insurrection. Ce sont principalement d’anciens militaires évadés des camps de prisonniers en Autriche et en Hongrie, ainsi que des civils enrôlés dans le STO qui travaillaient dans des usines d’armements en territoire slovaque. Dans le cadre de son alliance avec le Reich, la République slovaque dirigée par le cardinal Tiso abritait de nombreuses usines où convergeaient les travailleurs, volontaires ou non, impliqués dans l’effort de guerre du Reich. Les lambeaux de la Tchécoslovaquie dans son ensemble - devenue Protectorat de Bohème Moravie et République slovaque - constituent un des fers de lance de l’industrie d’armement allemand.

Ces 200 hommes, forment la Brigade Stefanic, du nom de l’aviateur et Général Milan Rastislav Štefánik, créateur de la Légion tchécoslovaque en France durant la Première guerre mondiale et figure fondatrice de la Première République tchécoslovaque. La force mobilisatrice qu’on prête aux grands noms de la Grande Guerre est également palpable dans la décision d’attribuer le nom de Foch à un des bataillons de la brigade. Celle-ci est commandée par un capitaine breton, Georges Barazer de Lannurien, natif de Saint-Servan, en Ille-et-Vilaine. Lieutenant en 1940, il est fait prisonnier pendant la campagne de France. Après son évasion de l’Oflag de Weidenau en 1942, il parvient à rejoindre les montagnes slovaques et à rallier les partisans qui y sont soutenus par l’armée Soviétique et qui sont en contact avec le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres. Il prend alors la tête la Brigade Stefanic et mène ses hommes au combat dans le défilé de Strečno.

Du 30 août au 4 septembre 1944, la brigade tente d’enrayer la progression allemande vers le cœur de la poche insurrectionnelle slovaque et les empêcher d’atteindre Banská Bystrica. Lors de ces affrontements, 56 de ces hommes perdent la vie et 45 sont mis hors de combat. Les survivants parviennent à rallier les vallées de Tichá et de Kôprová, dans le massif des Hautes Tatras, afin de poursuivre leur action face à l’occupation. Roger Naël, qui à tout juste 19 ans combat dans le bataillon Foch lors de l’insurrection, livre un témoignage très riche de sa  participation à l’insurrection slovaque, témoignage recueilli par l’Association des Amis du Musée de la Résistance Bretonne.

A Detva, ville du centre de la Slovaquie en octobre 1944. Georges Barazer de Lannurien est troisième en partant de la gauche. Crédits: Histomag'44.

Retrouver des Français, et parmi eux des bretons au sein de ces unités de combattants pourrait de prime abord surprendre. Néanmoins ces parcours attestent du caractère éminemment inter-connecté de l’industrie d’armement allemand au vivier de travailleurs captifs du Reich. Par ailleurs, le caractère hostile des massifs montagneux centre-européen en fait une destination toute trouvée pour des évadés des usines et des camps allemands. Ces trajectoires sinueuses, au marge du Reich, à la lisière des avant-gardes soviétiques, n’ont rien à envier aux parcours tortueux et encore troubles de certains de ces hommes dans l’après-guerre. Il n’est que de songer à nouveau à Georges Barazer de Lannurien : s’il est décoré de la Légion d’honneur, il l’est également de l’Ordre du soulèvement national slovaque et de… l’Ordre de Lénine. Son combat en Europe médiane, aux côtés des Slovaques et des Russes en fait une recrue toute désignée pour le renseignement militaire français… ou une recrue potentielle pour l’espionnage soviétique. Dans l’après-guerre, cet enfant d’une vieille famille bretonne, héros de la France Libre, cité à l’ordre de l’armée par le général De Gaulle est en effet suspecté d’espionnage au profit de l’Union Soviétique, alors qu’il est attaché militaire à Budapest.

Gwendal PIEGAIS