Joseph Pleyber, un ingénieur breton au service de la reconstruction de Salonique

Du 18 au 19 août 1917, un violent incendie ravage la ville grecque de Salonique (actuelle Thessalonique), tête de pont des Armées alliées d’Orient depuis octobre 1915. Près d’un tiers de la surface de la cité deux fois millénaire est ravagé : habitations, boutiques, quartier juif, Banque ottomane, la mairie, une partie de l'Église Saint-Démétrios, deux autres églises orthodoxes, douze mosquées, etc. Hormis les dégâts matériels, plus de 70 000 personnes sont touchées par la catastrophe. « Immédiatement après l’incendie […] le gouvernement grec a décidé de tirer avantage de la destructions quasi-totale de Thessalonique afin de reconstruire la ville suivant un nouveau plan, répondant ainsi à tous les besoins d’un ensemble urbain de notre époque ». Ernest Hébard, l’auteur de ces lignes, est l’architecte et archéologue français qui dirige la commission internationale chargée de la reconstruction de Salonique. À la tête de cette commission, composée d’architectes et ingénieurs britanniques, grecs et français, il supervise le tracé et la reconstruction de la ville, pour lui donner le visage qu’elle a encore aujourd’hui.

Plan de reconstruction de Salonique, d’après les travaux de la Commission chargé de la reconstruction de la ville et portant la signature de Joseph Pleyber. Wikicommons.

L’œil attentif retrouve, au bas de ce nouveau plan de Salonique, les noms des chevilles ouvrières de ce projet d’envergure inédite dans l’histoire de ce port de la Mer Égée. Parmi eux, le lecteur breton peut relever le nom de Joseph Pleyber. Originaire de Morlaix, cet architecte et ingénieur français se trouve en Argentine au moment de la mobilisation en 1914. Son parcours rend bien compte des transferts de compétence de la sphère civile à la sphère militaire, de la métropole aux colonies, en passant par les États aux infrastructures émergentes comme la Grèce et l’Argentine. À 48 ans, lorsque le conflit éclate, il a alors derrière lui un parcours remarquable et remarqué. Il a en effet à son actif 22 années de service et quatorze campagnes dans le Génie de la Marine nationale dont plusieurs séjours dans les colonies françaises, en particulier au Tonkin et au Sénégal. Ces contributions à l’aventure coloniale lui valent d’être fait chevalier de la Légion d’honneur en 1910, après quoi il se lance dans plusieurs chantiers en tant qu’ingénieur en Amérique latine.

Joseph Pleyber quitte alors l’Argentine et regagne la France avec son fils, mobilisé de la classe 1914. Une fois l’Atlantique traversée, il est affecté au camps retranché de Paris où il est nommé capitaine du Génie et met ses compétences d’ingénieur au service de la défense de la ville. Mais dès 1916 il est affecté à l’Armée d’Orient, à Salonique, où les Britanniques et les Français ont débarqué depuis 1915. Tout comme Paris, la ville est aussi préparée pour un éventuel siège des forces bulgares et austro-allemandes.

C’est donc sous la direction d’Ernest Hébrard que Pleyber contribue à la reconstruction de la ville, aux côtés des architectes grecs Konstantinos Kitsikis et Aristotelis Zachos ainsi qu’avec l’architecte et urbaniste britannique Thomas Mawson. Dans cet effort interallié à vocation civile mais au déploiement de moyens d’ampleur militaire, Joseph Pleyber est plus particulièrement chargé d’établir les plans de la voirie et les modalités d’assainissement des différents quartiers de Salonique. Alors qu’il s’affaire à ce chantier, son fils parvient à se faire affecter dans l’Armée d’Orient. Jean-Baptiste Pleyber y sert dans l’artillerie et a ainsi l’occasion de voir son père lors de ses permissions. Ce dernier est fait officier de la Légion d’honneur en 1918, décoration qui lui est remise par le général Guillaumat. Ultérieurement, il est également décoré, par les Grecs, de l’ordre du Sauveur.

Commission chargé de la reconstruction de Salonique, mars 1918. Joseph Pleyber est à droite sur le cliché. Wikicommons.

Après la guerre, Joseph Pleyber participe activement à la gestion et au logement du flot des réfugiés qui arrivent en Macédoine dès 1922. L’ingénieur morlaisien qui avait fait ses armes dans les colonies, ayant connu un certain succès en Argentine et montré ses compétences sur le théâtre macédonien, décide de s’établir pour de bon en Grèce. En collaboration avec d’autres architectes, comme Eli Hassid Fernandez, il laisse sa marque dans le paysage urbain de Salonique en prenant part à la construction de bâtiments tels que l’hôtel Excelsior ou les immeubles Mallah et Nahmia. Le visiteur contemporain qui se rend à Thessalonique peut encore découvrir ces hautes façades construites dans le style éclectique des années 1920. Joseph Pleyber publiera plusieurs études sur l’habitat et l’urbanisme à Thessalonique et en Grèce, où il finit ses jours en 1947.

Gwendal PIEGAIS