Juillet 1934 : les bardes investissent Roscoff

Le Musée de Bretagne conserve une remarquable série de photographies immortalisant une réunion des bardes de la Gorsedd de Bretagne à Roscoff, en juillet 1934. Il s’agit là d’archives exceptionnelles qui, néanmoins, nécessitent d’être confrontées à d’autres documents pour ne pas conduire à une erreur d’interprétation. Cette manifestation se déroule en effet dans un cadre bien spécifique, qu’il convient de détailler afin de ne pas commettre de contresens. La presse locale nous permet en effet de connaître en détail le programme du « Grand festival celtique » qui se tient à Roscoff du 28 au 31 juillet 1934. Cette manifestation réunit de nombreuses personnalités du mouvement breton, dont celui qui est alors le président des étudiants bretons de Paris, Yann Fouéré, individu qui est l’un des symboles de la radicalisation d’une partie du mouvement breton pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, 1934 n’est pas 1944 et il convient de ne pas se méprendre quant à la signification de ces festivités morlaisiennes animées par la fameuse Gorsedd des druides de Bretagne.

Le marquis régis de L’Estourbeillon et des druides lors du « Grand festival celtique » de Roscoff de l’été 1934. Le Courier du Finistère du 4 août 1934 permet de dater la photographie comme étant prise le lundi 30 juillet. Musée de Bretagne:  982.0008.2659.

C’est dans les colonnes du Courrier du Finistère que l’on peut découvrir les moindres détails du programme de ce « Grand festival celtique »1. Les festivités sont placées sous la présidence de Taldir Jaffrenou, grand druide de la Gorsedd de Bretagne. Cette fraternité des druides, bardes et ovates de la péninsule armoricaine est une création récente qui, à l’évidence, s’inscrit dans une représentation mythifiée de l’Armorique celtique. Le néo-druidisme nait en effet dans la péninsule armoricaine en 1900, par importation par les milieux régionalistes de pratiques venant du Pays de Galles et est indissociable d’une quête identitaire. D’ailleurs, sans surprise, tous les éléments du folklore breton – pour ne pas parler de « kit identitaire » à a la suite de l’historienne A.-M. Thiesse – sont conviés au festival de Roscoff, à commencer par les crêpes, les galettes et le cidre lors des repas, ce sans oublier les grandes épreuves de gouren.

Comme lors des fêtes d’Arvor, à Vannes, on remarque que le « clou du spectacle » lors  de la journée est un « cortège historique à travers les rues », manifestation à base de costumes qui véhiculent une représentation pour le moins édulcorée, pour ne pas dire idéalisée, du passé et notamment du Moyen-Âge. A Roscoff, ce n’est pas la duchesse Anne de Bretagne qui est mise en avant mais Marie Stuart, la célèbre reine d’Ecosse. Pour autant, la mécanique reste le même et, là encore, le concours des commerçants est ardemment encouragé. L’aspect économique de ce « Grand festival celtique » n’est donc pas oublié – le Courrier du Finistère publie même une liste des hôtels susceptibles d’accueillir les visiteurs – même si, ici, il se double d’un combat en faveur de la langue. C’est ainsi qu’un concours est organisé afin de récompenser les meilleurs « enseignes commerciales en langue bretonne ». Mais comme à Vannes, « les habitants sont priés de pavoiser leurs maisons et de décorer les rues ».

De manière générale, c’est l’œcuménisme – ou alors, c’est selon, une très large souplesse idéologique – qui caractérise ce « Grand festival celtique ». En effet, le cérémonial druidique – donc païen – coexiste avec la « messe dite à l’église paroissiale à l’intention des Bardes défunts », service accompagné de « cantiques bretons ». D’ailleurs, preuve de la dimension syncrétique de ces fêtes, l’événement est relayé tant par Le Petit breton, qui se présente comme étant « l’organe du parti démocrate populaire dans le Finistère », que par la très catholique Résistance2. Mais là n’est sans doute pas le plus intéressant pour qui s’intéresse à l’histoire du mouvement breton. Car s’il intervient quelques semaines après les émeutes du 6 février 1934, date pivot qui marque le basculement vers une indéniable radicalisation de la scène politique française, ce « Grand festival celtique » montre que la mouvance incarnée par Breiz Atao ! commence, déjà, à être idéologiquement minoritaire au sein de l’emsav. Plusieurs détails en attestent sans aucune ambiguïté. Ainsi, si seule la langue bretonne est admise lors du cérémonial de la Gorsedd, le Gwen ha Du côtoie le drapeau tricolore lors du grand cortège du 30 juillet 1934. Devant le monument aux morts, la Marseillaise répond au Bro Goz ma Zadou. De même, si l’évocation de Marie Stuart n’est pas sans encenser les liens interceltiques entre la Bretagne et l’Ecosse, la mise en scène a pour but de commémorer son voyage « par Roscoff à Paris pour être Reine de France ».

Lors du « Grand festival celtique » de Roscoff de l’été 1934. Musée de Bretagne: 972.0040.686.

Enfin, plus significatif encore, comme à Vannes en 1928 lors des fêtes d’Arvor, le poids de la Grande Guerre est très clairement perceptible et laisse entrevoir la force du culte rendu aux poilus tombés dans les tranchées. C’est ainsi que la journée du dimanche 29 juillet débute, à 11 heures,  avec « dépôt d’une gerbe de fleurs au Monument aux morts, par Riou, président de l’Union des Combattants », cérémonie rehaussée par la lecture d’un poème de Taldir Jafrenou. Autrement dit, si ces festivités participent assurément de l’affirmation d’une spécificité bretonne, et plus largement celte, elles n’adhèrent nullement au discours des « bretons morts par la France » porté Breiz Atao !. C’est bien pour le pays que sont décédés ces combattants. Aussi, le message de ce « Grand festival celtique » ne doit-il pas être mésinterprété : c’est bien de réaffirmation nationale dont il s’agit, dans une sainte alliance de la petite et de la grande patrie.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

1 « Grand Festival Celtique et Gorsedd des Bardes du 28 au 31 juillet 1934 », Le Courrier du Finistère, 55e année, n°2680, 21 juillet 1934, p. 5 et « Grand Festival Celtique et Gorsedd des Bardes du 28 au 31 juillet 1934 », Le Courrier du Finistère, 55e année, n°2681, 28 juillet 1934, p. 5 ; « Les Fêtes celtiques », Le Courrier du Finistère, 55e année, n°2682, 4 août 1934, p. 5.

2 « Après les fêtes celtiques », Le Petit Breton, 14e année, n°765, 12 août 1934, p. 7 et « Les Fêtes celtiques », La Résistance, 50e année, n°31, 4 août 1934, p. 4.